LA CHANSON DU RETOUR DE LA GRANDE LULU

La première semaine le Brésil ils ont quitté

Voyage et découvertes ont dû tout arrêter

Chassés par un virus des plus mal embouché

Pour un long retour, La Grande Lulu est parée

La deuxième semaine il faisait bon naviguer

Quart de jour quart de nuit tout était bien réglé

Poissons à l’hameçon, oiseaux comme équipiers

Libres sur l’océan quand tous sont confinés

C‘est un bon vent d’est

Qu’il faut aller chercher

C’est un bon vent d’est

Qui va les emmener

La troisième semaine les Alizés ont trouvés

Mais réchaud et fourneau refusent de cuisiner

Tout cru tout froid les petits plats sont rationnés

Kilos superflus et gras sont dilapidés

La quatrième semaine le moteur a calé

L’électronique niquée, le compas s’est noyé

Trois jours et trois nuits à la barre sont chevillés

Arrivés à Horta ils sont bien fatigués

C’est un bon vent d’est

Qu’ils ont bien retrouvé

C’est un bon vent d’est

Qui les a emmenés

La cinquième semaine en quarantaine sont restés

José les a aidés, Duarte les a choyés

Quai des Confinés de belles amitiés sont nées

Scellées par le rhum, la joie de vivre, la gaieté

La sixième semaine ont voulu tout réparer

Gasoil purifié, électronique ranimée

Bas-hauban coupé de dynema renforcé

Iridium muet mais sont prêts à lâcher l’quai

C’est pas un vent d’est

Qu’il leur faut pour rentrer

C’est pas un vent d’est

Qui peut les ramener

La septième semaine les Açores ils ont largué

Cap sur la Bretagne, derniers miles à avaler

Mais à la moitié un gros nordet s’est levé

Pas moyen d’avancer ils vont même reculer

La huitième semaine le vent est bien retombé

Toujours de l’orient qu’Eole souffle ses risées

A deux nœuds à l’heure, ils sont pas prêts d’arriver

Faut pas désespérer, patienter, patienter…

Satané vent d’est

Quand vas-tu les lâcher

Satané vent d’est

Quand vas-tu les lâcher

La neuvième semaine ils finissent par accoster

Dans un nouveau monde que’l’covid a chamboulé

Deux mois sur le bateau ils ont les genoux rouillés

Mais l’cœur bien gonflé du désir de s’marier

Brésil

Un mois que nous sommes au Brésil, le mois où le monde a changé, le dernier mois de voyage où nous pouvions savourer les dernières découvertes et rêver des suivantes.

12 jours de traversée depuis le Cap Vert, une semaine idyllique vent portant jamais trop fort, pas de grain, pas de mer, pas trop chaud, 2 jours pour traverser le pot au noir à petite vitesse, lentement mais surement , LE passage de l’équateur, forcément émouvant et une fin un peu inattendue au prés, avec le courant contre mais pas de quoi nous empêcher d’arriver à temps pour le dernier jour de carnaval de Recife.

Bem-vinda ao Brasil.

Un bain de foule brésilienne après notre huis clos, nous étions un peu hésitants. Rien dans les poches, nous nous sommes enfoncés dans le vieux Récife en suivant le flux des carnavaliers. Des familles complètes, 3 générations déguisées, maquillées, venues danser et chanter en suivant les différentes écoles de musique et danse qui défilaient dans les rues, se croisant dans tous les sens mais en attendant toujours que l’un est fini son morceau et passe pour commencer le sien. Bref, pas mal de discipline dans un joyeux bazar et déjà la certitude que nous allons nous plaire ici.

Récife et Salvador, deux grandes villes où nous sommes passés, juste passés, à peine de quoi s’imprégner de l’atmosphère, d’en comprendre le fonctionnement, suffisamment pour voir que les riches sont très riches et les pauvres nombreux, que les touristes sont rassemblés dans quelques rues et que la vraie vie est juste après. La rue d’après, au début, on n’osait pas trop y aller, ou juste un orteil car on a reçu tellement de mises en garde sur l’insécurité que nous n’arrivions pas à faire le tri, mais petit à petit on s’y est « aventuré » pour enfin trouver une vie de quartier avec sa foule de gens affairés, ses commerces de bouches, les boutiques de fringues et les fameux restaurants au kilo, un concept à importer : c’est un self-service, on remplit son assiette, elle est pesée à la fin du présentoir et tout de suite on voit lequel est le plus gourmand des deux.

A la tombée du soir, les petits marchands de rue ramassent leurs étals, les grilles des boutiques descendent et dès que la nuit domine, vers 18h, les rues sont vides, désertes, mortes, retour en taxi obligatoire. L’insécurité, nous l’avons ressenti ainsi, indirectement.

Salvador de Bahia de todos os santos, c’est qu’il faut lui bien tous les saints pour veiller sur ses 3 millions d’habitants et même si le cœur de la ville, le Pelourinho, a été restauré pour le bonheur des touristes, même si en faisant abstraction des boutiques de souvenirs on peut y imaginer les personnages de Jorge Amado descendre joyeusement les rues pavées et se héler d’une fenêtre à l’autre, Salvador de Bahia est un peu étouffante.

Alors on s’enfonce dans les terres, on prend de l’altitude et on va se mettre au vert dans le parc national de la Chapada Diamantina. Lençois, une petite citée coloniale, en est la porte d’entrée. Jusqu’à la création du parc, en 1985, c’était le domaine du diamant, la ville était riche, certaines bâtisses opulentes le témoignent, probablement celles des commerçants, des prêteurs sur gage car les garimpeiros, quand ils revenaient après plusieurs semaines passées à creuser la montagne avec quelques diamants dans les poches avaient la réputation de flamber dans la rue de la soif. On dit que les pavés des rues recèlent pleins de petits diamants tombés des poches lors des beuveries Cachaça, filles, jeux, paris, en quelques heures il ne leur restait plus qu’à repartir gratter la roche. Des histoires de vies pour alimenter l’imaginaire des scénarios de films, des romans et des chansons de Bernard Lavilliers. Maintenant la rue de la soif est bien proprette avec toutes ces petites maisons colorées qui abritent restaurants et cafés où se retrouvent les randonneurs de tous les pays.

Il n’y a plus d’activités dans le parc, seuls quelques chercheurs de diamants sont autorisés à continuer mais avec des méthodes « douces », la culture du café et l’élevage ont été repoussé aux confins du parc. Pas de moteur sur cette superficie grande comme un quart de la Loire Atlantique, on circule à cheval, en mule ou à pied. Une poignée de paysans ont pu conserver leur maison et se sont convertis dans l’accueil de randonneurs.

Les paysages de la Chapada nous ont tant été vantés que nous avons hâte de nous y enfoncer. Notre petit groupe de trek est bigarré comme une ruelle du Brésil. Gilvan sera notre guide, Julie est marin pêcheur au Cap Breton, Marina de Munich voyage depuis plusieurs mois en Amérique latine et Javier est colombien. Gilvan connaît bien la Chapada, pendant 8 ans il a été garimpeiros et il n’a pas perdu la main. Il connaît les gués, les grottes que l’on peut traverser pour changer de vallée, celles où l’on se cachent, l’arbre qui brûle sans faire de fumée pour ne pas être repérer, les racines que l’on mange, les cactus qui recèlent de l’eau à boire et qui indiquent l’ouest, les plantes qui soignent, les serpents dangereux mais moins dangereux que le soleil qui tape. Il connaît aussi l’euphorie quand le diamant est dans ta paume et la fiesta où l’on dépense tout. Maintenant il emmène les marcheurs sur ses anciennes pistes et depuis qu’il côtoie des voyageurs de tout pays, il économise pour s’acheter un combi WW et partir à son tour sur les routes.

La découverte, l’émerveillement, les rencontres, tous ces ingrédients qui font l’essence de notre voyage sont réunis. Les paysages sont à couper le souffle, ici nous mesurons la beauté de la nature, l’espoir de constater qu’elle s’est remise de l’exploitation anarchique des sous-sols et le désespoir quand nous apprenons que Bolsonaro rêve de relancer l’industrie du diamant. Mais pour l’instant, dans ce petit bout de terre isolé, loin de toutes agitations, nous vivons des moments de plénitude. En passant du brésilien au français et à l’anglais, nous partageons tous la même émotion, insouciants car là haut, la tête dans les étoiles, le monde ne nous a pas encore rattrapé.

3 ans qu’il n’a pas plu au Cap Vert !

Comment peut-on se représenter cela ? Quelle image sera assez juste, assez forte, pour pouvoir visualiser un paysage privé à ce point d’eau ? Est-il possible d’imaginer notre environnement habituel si la dernière pluie datait de 3 ans et que les précédentes étaient tout aussi éloignées ? Réussissez-vous à imaginer ce que serait votre ville sans son fleuve, les campagnes sans leurs rivières, les montagnes sans lac, la Beauce sans arrosage, Paris sans la Seine ? Et votre balcon fleuri, comment serait-il ? Et le jardin, et la promenade de dimanche, et le marché du samedi, et le square du quartier, et la piscine du voisin ? Il faudrait gommer de nos mémoires les forêts, les bocages, les pâturages, les bas-côtés en herbe des routes, réduire à une portion congrue les animaux, les fleurs, les fruits, les insectes. Que reste-il ? De la terre, des pierres et de la poussière, l’aridité qui s’insinue dans tous les recoins.

Ainsi en est-il des îles du Cap Vert.

Le bon sens avait voulu cet archipel inhabité. Aucune faune, aucune vie ne méritaient le destin d’y naître. Il aura fallu l’irraisonnable avidité de l’homme pour utiliser ces îles afin d’y établir des comptoirs géographiquement stratégiques pour le commerce triangulaire. Au carrefour du vieux monde, des Alizés et de l’Afrique, les îles du Cap vert accueilleront les marchands, les entrepôts, les bateaux et la gare de tri des esclaves. Mais quand l’activité déclinera pour cause d’abolition, chacun repartira avec ce qu’il a gagné en laissant sur place la marchandise, fond de stock devenu inutile.

L’absurdité des uns n’a d’égale que la capacité d’adaptation des autres. Et ces africains multi ethniques, abandonnés bien qu’encore sous le joug du Portugal se redressent pour créer un peuple. Déjà une langue commune était utilisée, un « kriôl » de survie face aux ‘maitres’, et une identité propre s’épanouit. Les racines africaines s’effacent pour laisser place à un métissage de couleur. Les peaux sont pâles ou foncées, les corps élancés ou ronds, les yeux sombres ou verts, la beauté de ce peuple est dans la diversité.

Notre premier contact est une jeune femme qui nous parle en français comme beaucoup ici. Elle aurait pu nous rappeler les difficultés de la vie, l’envie de fuir la misère et les famines. Mais non ! « Ça va mieux depuis quelques années » nous dit-elle simplement « Et demain, tout sera bien. Vous pouvez venir, vous installer ici, le Cap Vert est un beau pays » continu-t-elle. Revenue de ses études en France où elle a croisé tout ce qui nous semble manquer à ce pays, elle revient pétillante d’espoir.

L’espoir. L’espoir et la Morna valeurs sûres des capverdiens. La Morna est un fado sans larmes, une balade mélancolique pour évacuer les idées noires, que nous ne connaitrions pas si Césaria Evora n’avait foulé de ses pieds nus les scènes internationales.

Ceci est une oeuvre de Vilhs, un artiste portuguais . Il pique le mur au marteau piqueur et burin , c’est le relief qui créer l’image

Libérés du pathos nous regardons différemment ce jeune pays. Il y a une beauté en tout, les paysages sont grandioses, tantôt aigus sur les îles où le volcanisme est récent, tantôt doux sur les plus anciennes où l’érosion a créé d’immenses dunes de sable.

De la mer nous apprenons à apprécier les dégradés de marrons et d’ocres. Les brumes et vents de poussière voilent avec élégance les sommets. La mer passe du bleu profond au turquoise. Le ciel regorge de soleil et d’étoiles.

A terre aucune des dix îles de l’archipel n’est identique. Certaines ont la chance de mieux capter les rosées et les rares pluies et de stocker l’eau dans des nappes phréatiques. Santo Antão est un des greniers du Cap Vert avec des vallées intérieures ‘vertes’. Il nous faut déplacer notre curseur pour apprécier le qualificatif. Les vallées vertes ressemblent à nos jardins en fin d’été sec, mais elles ont toute l’attention des capverdiens. La moindre surface de terre qui bénéficie tant soit peu d’humidité est choyée, cultivée avec soin, plantée des variétés les plus adaptées.

Sur São Nicolão une initiative française a permis d’irriguer la vallée de Faja en allant chercher loin dans la montagne l’eau d’une nappe et en l’acheminant par un canal sous-terrain. Jean Claude, qui a participé à ce projet il y a trente ans, y revient cette année. De sa haute stature de chef d’équipe il nous parle de la galerie, de sa satisfaction de voir aujourd’hui cette vallée, qu’il a connue aride, devenue fertile et nous entendons dans sa voix l’émotion et la fierté d’avoir travaillé à un projet utile. L’accueil qu’il a reçu pour son retour à São Nicolãu a été celui d’un héros

Une autre richesse, présentée comme prometteuse, sont les immenses plages des îles les plus plates. Le tourisme ¨soleil, plage et kite¨ serait une manne en devenir. Les promoteurs s’y précipitent avec toute l’élégance et le bon goût qu’on leur connait. Certains projets aboutissent à de grands complexes improbables, d’autres sont mort-nés, abandonnés avant d’être finis, ruines hideuses à l’honnêteté douteuse. Gardons-nous de reprocher aux capverdiens de vouloir évoluer vers des richesses que nous avons. Il faudra cependant assouvir les besoins matériels du tourisme de masse, les solutions sont connues, leurs impacts aussi.

Les îles du Cap Vert sont vastes et sauvages, il en est de même pour la navigation dans l’archipel.

Les navigations entre les îles les plus éloignées, d’Est en Ouest ou du Nord au Sud, se font dans une ambiance hauturière avec 2 à 3000 mètres de fond, des vents réguliers et peu de bateaux croisés. Mais les passages entre les îles sont plus mouvementés, la sonde n’affiche plus que 15 ou 20 mètres, les vents s’affolent au contact des reliefs et des pointes, ou au contraire nous lâchent totalement, les courants tournoient, s’additionnent ou s’annulent, la houle tourne autour des terres. De quoi nous tenir en éveil et il le faut. Pas de balisage, pas de carte des courants, le littoral n’a pas été entièrement cartographié et parfois les données sont erronées, des anomalies magnétiques, des brumes de poussière ; il faut laisser de côté la navigation « connectée » et revenir aux bases : s’interdire d’arriver de nuit à un mouillage, observer le plan d’eau plus que l’écran, prendre de la marge, faire confiance à son feeling. Il y aurait une centaine d’épaves rien qu’autour de l’île de Sao Vicente, certaines sont encore visibles, les marins étaient pourtant compétents mais le GPS n’était pas encore inventé. Alors on réduit systématiquement la toile avant de s’engager dans un canal entre deux îles, on renonce à certains mouillages quand on les juge trop risqués même, et on préfère laisser La Grande Lulu en sureté à Mindelo et prendre un ferry pour aller visiter Santo Antão. On ne voudrait pas réveiller les fantômes des pilleurs d’épaves, ceux d’une époque où le naufrage des uns faisait la survie des autres.

São Vincente, Santo Antanão, Santa Luzia, São Nicolau, Boa Vista, nous avons égrainé le chapelet de l’archipel, rencontrant partout un accueil chaleureux, appréciant la gentillesse des gens. Nous les amusons en essayant nos premières phrases en portugais et ils se font un plaisir à corriger notre accent pour le mettre à leur kreôl qui lui varie d’une île à l’autre.

Nous éviterons les deux grandes îles les plus touristiques mais espérons bien pouvoir s’arrêter aux îles les plus sud. Christian, Capverdien de Mindelo qui rêve de faire une transat nous accompagne pour son baptême de navigation à la voile jusqu’à Fogo ou Brava. (Ah, les aléas du mouillage au cap vert…)

On a recommencé à faire lever le levain !

Comment expliquer cette lenteur à nous remettre dans l’esprit du voyage ? Presque deux mois que nous avons repris un avion pour rejoindre La Grande Lulu à Madère et nous tardons à retrouver notre légèreté de voyageur. La durée de notre escale turballaise nous aurait-elle stoppés? Madère que nous visitions pour la 3éme fois en une année ne serait-elle plus une terre d’aventure ? Les navigations trop courtes depuis Funchal nous laisseraient-elles un peu sur notre soif d’embruns?

Il y a des raisons et des erreurs. Madère était un temps d’entretien, réparation et bricolage. Aux Canaries, nous étions dans l’attente des bateaux amis qui convoyaient pour nous de France quelques kilos de matériel mais les coups de vents d’automne se succédant en rythme saccadé les ont bien retardés. Et puis ce bas-hauban que l’on retrouve à demi cassé lors d’une visite de contrôle dans le mât nous laisse encore quelques jours de plus à quai. On se maudit de notre imprévoyance, à quoi bon aller faire des vérifications la veille du départ dans une île où il n’y a rien pour réparer !

Le chemin qui nous ramène au voyage n’est pourtant pas que semé d’embuches. Les douces températures de Madère nous accueillent et nous font oublier les dépressions automnales qui s’enchaînent en métropole.

Nous n’imaginions pas trouver sur ce petit bout de terre “ la féerie de Noël” comme dans les images d’Epinal. Lumières, marchés, longues tablées où l’on dîne d’une soupe et du bolo de caco, c’est le Noël de nos rêves d’enfant.

Attendre aux Canaries, il y a pire . Les randonnées dans le cratère du Teide sont époustouflantes, le soleil est généreux. La visite d’un de nos enfants nous ravit, les journées passées avec les copains sont toujours des bons moments, Il y a des retrouvailles improbables, de nouvelles rencontres, déjà des rendez-vous et des au-revoir.

 

Mais quand le nouvel hauban arrive enfin dans le petit port de Tazacorte, tout est prêt dans le mât pour le recevoir, les pleins sont faits depuis plusieurs jours, la trinquette est endraillée, le pont est rangé : 3 heures plus tard, on largue les amarres à la tombée de la nuit. On a appris le routage par cœur, cap 220 °, en ligne droite sur Mindelo, Cap Vert à 800 Nm.

A peine la grand-voile montée, on se dit « C’EST REPARTI ! ». Repartie la jouissance que l’on ressent en mer, de guetter la montée de la lune qui éclaire le sillage, de contempler les vagues qui soulèvent la jupe de La Grande Lulu, d’écouter la musique de l’eau qui glisse sur la coque, d’admirer une belle chute de voile, de danser-tituber sur les mouvements du voilier et le sentir  frétiller en descendant la houle. Repartie l’excitation d’aller en terres inconnues de nous, d’espérer des rencontres de personnages aux histoires singulières, de rêver sur notre itinéraire, sur le passage de l’équateur entre Cabo Verde et Brazil. Repartie la routine du voyage, surveiller la charge des batteries, économiser l’eau, faire le p’tit tour du propriétaire pour voir si tout va bien, organiser les quarts, monter le pavillon de courtoisie du pays d’accueil, s’enquérir des formalités d’entrée …et faire notre pain.

Alors, on a recommencé à faire lever le levain.

La boucle est bouclée !

17 heure, mardi 27 Aout 2019,,,

Nous sommes à 20 miles de Madère et depuis le début d’après-midi, toutes les sensations de l’année viennent s’inviter dans nos esprits pour clore joyeusement cette saison. Partis de Madère le 23 novembre 2018, nous allons bientôt nous amarrer à nouveau à Quinta de Lorde, notre sillage a dessiné une jolie boucle sur l’Atlantique nord ou plutôt, une cerise dont la tige remonterait jusqu’à Piriac.  C’est incroyable tout ce que l’on a vécu ces 11 dernier mois, en voici un petit résumé :

Distance parcourue : 12 000 miles nautiques, soit près de 22 000 kilomètres, un demi-tour du monde par l’équateur.

La navigation la plus rapide : La remontée des îles du Salut à Tobago, aidé par le courant guyanais, 600 miles en 73 heures, soit 200 miles par jour pendant 3 jours.

La navigation la plus lente : Il y a 3 jours, au départ des Açores, 105 miles en 24 h. Avec La Grande Lulu, une bonne journée tourne autour de 150 miles, en dessous de 130, on se juge contre-performant, au-dessus de 170, on est content.

La plus belle  : Il y en a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup. Celle qui nous laisse un souvenir exceptionnel, est l’arrivée sur le fleuve Maroni. Après 18 jours de transat, encerclé par ce désert bleu, où l’horizon est plat, où seuls, les bruits du vent et de l’eau coulant sous la coque nous avaient accompagnés, c’est une débauche de couleurs, de reliefs, d’odeurs, de cris d’animaux qui nous accueille. Nous avions jeté l’ancre pour la première nuit sous un fromager, cet atterrissage en douceur était juste parfait. A l’autre extrémité des Caraïbe l’arrivée au petit matin dans le dédale des Îles Vierges britanniques était aussi magique.

La plus confortable : La transat dans les alizés

La plus inconfortable : La remontée du canal de Floride avec le gulf stream qui nous poussait  4 nœuds aux fesses et  20 nœuds de vent dans le nez. La mer était toute hachée, l’avant du bateau se relevait puis tombait lourdement entre les vagues ;  c’était bolino à tous les repas.

La plus impressionnante : l’arrivée à Madeire en octobre. Il y avait 35 nœuds de vent arrière, des creux de 8 à 10 mètres selon les grib car en vérité, il est très difficile d’évaluer la hauteur des vagues mais c’était haut ! Le pilote est resté stoïque, on était ben content d’arriver à Porto Santos après 36 h de « machine à laver », ras le bol des bolinos !

La santé de La Grande Lulu : très bonne, tout le mérite revient à Hervé et à ses exigences d’exception. Elle était bien préparée et en permanence sous surveillance, contrôle, anticipation des problèmes, amélioration. Voilà une petite phrase de quelques mots mais qui représente énormément d’heures de travail.

Avaries : Je me demande si le « s » n’est pas de trop. Il n’y a pas de secret, tout cela est dû au paragraphe précédent. Une voile s’est déchirée ou plutôt décousue entre les Bermudes et les Açores , c’est une peu surprenant, il y avait 28 nœuds de vent, c’est tout de même pas la mer à boire pour une trinquette toute neuve.

 L’électronique a flanché un peu en arrivant aux Antilles, le GPS perdait le nord, du coup, le pilote se mettait en grève, pour nous démoraliser le sondeur voulait nous faire croire qu’on allait toucher le fond et chaque instrument prétendait que c’était la faute de l’autre. Il a fallu revoir toutes les connexions un peu attaquées par la corrosion et améliorer les circuits, encore une petite phrase de quelques mots mais cela a été une vraie prise de tête pour identifier un à un les problèmes.

La découverte la plus surprenante : La Guyane, tout y est fort ! La forêt, le fleuve, la population cosmopolite, la violence de son histoire, l’architecture … rien ne laisse indifférent. C’est un peu au dernier moment que nous avions décidé d’y aller, c’est sans regret.

Les plus beaux mouillages : Il y en a beaucoup, Cariacou, Paradise Bay aux Grenadines, St Louis à Marie Galante… mais ceux de Cuba où nous avons joué aux aventuriers restent les plus marquants.

L’endroit où nous aimerions retourner : Sans hésitation, Les Açores. « Heureux comme une vache aux Açores », un nouveau proverbe créé avec Florent de Julo lors d’une rando à Corvo. On a aussi inventé « pousse pas mémé dans les hortensias »  ou «  on n’a pas le cul sorti des hortensias »… moultes déclinaisons possible…

La plus belle prise : une daurade coryphène de 12 kilos par Hervé, celle de la photo n’en fait « que » 8. Pour autant, on est loin d’avoir perturber la régulation des espèces. Quatre daurades, une bonite, un barracuda plus un poisson dont j’ai oublié le nom péché avec Pierre aux îles du salut, soit sept en onze mois.

Les déceptions : ben oui, y’en a un peu. Le peu de mammifères marins croisés, quelques dauphins, quelques bouts de baleines aperçus, heureusement pas mal de tortues. Et puis, nous pensions nous gaver de plein de variétés de fruits et légumes mais dès que l’on quitte La Guyane, il faut attendre le retour à Madère pour revoir un marché vraiment coloré.

L’événement totalement inattendu : Au large de Cap Canaveral,  à 2 heures du matin, un OVNI , pour nous, est entré dans l’atmosphère, cela faisait une grosse boule de gaz vert fluo passant à toute vitesse au dessus de La Grande Lulu et éclairant bizarrement les voiles. Pour un peu on allait pêcho de l’astronaute. Plus tard, nous avons appris que c’était le retour d’un nouveau type de lanceur de satellite, pas à usage unique. Nous qui étions déçus de ne pas avoir eu l’occasion de voir un départ de fusée…

La rencontre improbable : Invités par le skipper de Météore à venir boire l’apéro au mouillage des Bermudes, nous sommes accueillis par un de ses équipiers, Axel, neuro radiologue, que j’ai côtoyé pendant 30 ans à l’hôpital nord de Nantes. Le monde est petit.

Les plus belles rencontres : Voilà bien ce qui rend le voyage extraordinaire,  la multitude de personne rencontrée, de tous horizons, de toutes « tendances », accomplissant leurs rêves, relevant des défis. Nous avons tous en commun d’avoir un jour largué les amarres, franchir le pas n’est pas juste de la chance mais une victoire sur tous les freins que nous nous mettons. Ces voyages, nous les avons  rendus possibles et chaque jour nous nous émerveillons des moments privilégiés que nous vivons. On partage  un café, un repas, un poisson pêché, une escapade, une navigation, on se croise et on se recroise au hasard des mouillages, on se donne des nouvelles des uns et des autres et on se re-quitte en se souhaitant bonne nav .

Comme à la fin d’un roman américain, j’ai envie de faire 3 pages de remerciement à tous ceux qui nous ont accompagnés, cela ferait un bel inventaire à la Prévert. Merci à Pierre et Jean Christophe à la préparation, Carmina,  Point à la lune, Chasseur de primes, Glaz, Kornog, Julo, Gulia, Yara, Météore, Mira Polaris, Ohana, Montblanc,   Phoebus, Pahi Koumata, See You, La Grande Aventure, Barbara …et puis Christine, Marijo et la bande de chez Lulu avec qui nous avons réveillonné en plein Amazonie  et encore bien d’autres …et même aux vaches açoriennes.

Et Spécial Kiss pour vous qui nous suivez et nous lisez régulièrement.

Les Açores, on aime !

On l’a déjà dit, on le redit et le répète à qui veut l’entendre, nous aimons les îles des Açores. Et nous ne sommes pas les seuls à les aimer. Les Açoriens aiment les Açores, c’est normal évidemment. Les gens de passages, touristes ou voyageurs aiment les Açores. Les navigateurs aiment les Açores.

Qu’il y-a-t-il donc de si fantastique ici ?

A  écouter les impressions des uns et des autres ce qui revient en premier n’est pas la liste  des plus beaux sites, un souvenir gastronomique, une météo idyllique, tout ce qui fait des vacances-voyages réussis, mais un sentiment de bien-être ; « On se sent bien ici ! », « c’est cool ! », « quel pays reposant ! ». Des mots simples pour exprimer une alchimie complexe.

Sans rejeter ce qui nous a séduit dans notre balade antillaise il faut bien admettre que rien n’est plus interchangeable qu’une plage ‘paradisiaque_sable-blanc_et_cocotiers’, qu’on peut se lasser de l’exotisme superficiel et bruyant de l’apéro ‘reggae_ty-punch’, qu’on ne se souviendra sans doute pas  de tous les couchers de soleil inoubliables sur les mers turquoises. Les Açores nous proposent autre chose, plus en nuances, plus en profondeur.

Débarquant après la traversée sur l’île de Flores, on va se dégourdir les jambes dans le village de Lajes , les rues sont calmes, à peine entend-t-on quelques sons provenant des fenêtres ouvertes, les maisons sont bien entretenues, blanches avec l’entourage des ouvertures soulignées d’une couleur, l’ensemble est harmonieux. Pas un papier au sol ne vient troubler la vue, encore moins un tag. Chaque habitant croisé nous souhaite une bonne journée, plus tard, nous remarquerons que les conducteurs se saluent toujours aussi et laisse la clé sur le contact. Ici, un antivol est un objet incongru. A la terrasse du café, si musique il y a, elle reste en sourdine, on va commander son expresso  au bar, on paie,  maintenant ou plus tard, çà n’a pas d’importance, à la fin, on rapporte sa tasse au comptoir. Et c’est cette plénitude, cette douceur de vivre, cette sensation d’état de grâce, qui font des Açores un archipel où « on se sent bien » dès la fin de notre première promenade.

En arrivant il y a l’émerveillement, la beauté et le caractère marqué de chaque île. Toutes sont volcaniques, donc apparemment semblables mais elles ont leur propre histoire géologique et humaine. Nos yeux se régalent des points de vue mêlant cratères et mer, grotte et orgue de basalte, falaise et « fajas », fin bandeau de terre entre falaise et mer où la vie et l’activité humaine se sont accrochées. Les formes tantôt  rondes et lisses, tantôt vives et acérées sont soulignées par un jeu de couleurs simple et contrasté : le noir des pierres et du sable, le vert des vignes et des forêts, le bleu des hortensias et de la mer. Les hommes y ont ajouté le blanc des maisons souligné de quelques encadrements colorés. La lumière changeante des ciels de l’Atlantique se charge de faire varier à l’infini les nuances

.

En prenant pied sur la côte puis tout au long des sentiers c’est un assemblage pêle-mêle d’odeurs qui nous surprendra. Nous y reconnaitrons dans ces mélanges les senteurs de menthe, d’eucalyptus, de jasmin, de réglisse, de fenouil, d’immortelle, de thym, de chèvrefeuille et comme pour mieux accentuer cette douceur sucrée, quelques fortes odeurs de soufre aux abords des fumeroles.

Car l’activité volcanique est bien présente. Les cratères et coulées de lave façonnent toujours le décor. Ici une île s’est agrandie de quelques hectares et un nouveau paysage lunaire s’est accolé aux pentes vertes, là la carte marine signale qu’une colonne sous-marine de plus de mille mètres de haut affleure presque et que la géographie est susceptible de changer au gré des irruptions. Ailleurs le sol est chaud, bouillant et fumant, et sert de four pour le pot-au-feu familial.

Nos pieds et nos mains sont en contact direct avec cette géologie turbulente et rugueuse. Nous ressentons physiquement les chaos successifs qui ont façonné les paysages. Les pierres de lave irrégulières, légères et aigues côtoient les sections hexagonales des énormes poussées de basalte, les failles sont franches et profondes comme des crevasses de glacier. Le sable du bord de côte est noir, les falaises vertigineuses. Il faut remercier la ténacité des açoriens qui depuis les premiers colons du XVème et jusqu’à aujourd’hui adoucissent ce tableau en développant l’agriculture. Les pierres ont été ratissées et mise en murets qui quadrillent la campagne, les pentes abruptes ont été réorganisées en terrasses, des chemins ont été tracés, des villages agrémentent les collines, de minuscules ports donnent accès à la mer.

Cet aigre-doux de sensations se confirme dans les sonorités açoriennes. Il y a le silence reposant des campagnes, le calme des rues, les carillons bastringues des églises (et les chants folkloriques nasillards) mais aussi le ronflement de la mer, le sifflement du vent. Et puis, il y a les cris des puffins argentés, ces oiseaux de mer qui le soir reviennent à la falaise et s’interpellent bruyamment sur un ton de crécerelle.

Tous nos sens sont sollicités par ce mélange des genres, contradictoires sans jamais être dans l’excès, et nous ressentons cet équilibre reposant propre aux Açores.

Nous ne pourrions nous sentir si bien si nous n’étions pas bien accueillis par les açoriens. Il n’y a aucune ambiguïté, nous sommes les bienvenus. Le sourire est permanent, l’attention est réelle, la politesse une évidence. L’accueil dans les ports et dans la rue est sincère, chacun a le désir de nous rendre le séjour agréable et facile. Margarita annulera son projet de l’après-midi pour nous faire visiter son île en voiture, Luis et Carolina nous feront visiter leur maison typique, Paolo nous invitera pour un diner parce que de ses fenêtres on verra mieux le spectacle des vachettes dans la rue. Les « Clube Navale » invitent avec plaisir qui veut participer aux régates d’été.

Partout, de Flores où nous sommes arrivés après notre traversée depuis les Bermudes à Santa Maria d’où nous repartons pour Madère nous aurons le même accueil, la même invitation à rester, et nous avons mis le pied sur chacune des 9 îles de l’archipel.

CORVO

Flores et Corvo, les petites îles du nord-ouest sont plus isolées, le climat y est plus rude, plus humide, plus venté. Ce sont les îles aux versants verts, aux cascades généreuses et aux nuages gris. La houle du large n’épargne aucun recoin de la côte et les pêcheurs loin d’être agacés de notre présence à leur quai nous apprennent des techniques d’amarrage qui nous serviront dans bien des endroits.

Les îles centrales rivalisent d’arguments pour nous retenir :

Graciosa, seule île à ne pas encore avoir de port de plaisance, compense cette difficulté d’accès par la gentillesse sans faille de ses habitants.

Faial et son port mythique d’Horta, le grand rendez-vous des marins.

Pico, qui culmine à 2350 mètres et joue avec les nuages. Quelle satisfaction, depuis les îles voisines de voir le volcan en entier.

Sao Jorge, posée sur l’eau comme un long paquebot, encerclée par les falaises, surmontée par une chaîne de volcans.

Terceira et la très belle ville d’Angra do Heroismo

Il n’y a qu’à Sao Miguel, la plus grande et celle réputée dans les guides comme la plus belle que nous resterons moins longtemps que prévu. Son charme s’est à notre goût trop élimé à se frotter à la promotion touristique.

Santa Maria plus au sud nous offre une merveilleuse dernière escale aux Açores.

L’archipel des Açores n’est pas qu’une succession d’escales, c’est aussi le grand carrefour de l’Atlantique nord. Quelques plaisanciers d’Europe ou de méditerranée viennent y passer l’été, tous les bateaux revenants des Caraïbes et d’Amérique du nord s’y arrêtent. Nous y retrouvons de nombreux équipages croisés durant cette année qui finissent la boucle de l’atlantique, c’est un lieu de retrouvailles et d’adieux. Chaque retour vers le continent se fête dignement autour des barbecues, les largages d’amarres sont chargés d’émotions car pour beaucoup, c’est la fin d’une histoire, d’un défi, d’un rêve devenant souvenir.

Chacun reprendra une route vers de nouveaux projets. Beaucoup rentrent pour poursuivre ou reprendre une vie professionnelle, souvent motivés pour préparer un nouveau voyage. Quelques- uns sont happés et restent ici pour tenter une nouvelle vie, pourquoi pas s’y installer car il y a ceux qui ont fait le pas, il y a déjà quelques années et racontent. Ceux-là perpétuent l’histoire de l’immigration aux Açores. Et il y a les bienheureux comme nous, plus rares, qui continuons la route toujours plus au sud…

Transat vers les Açores

Allons-nous être happés par le triangle des Bermudes ? La question nous amuse et nous faisons très attention à ne pas nous faire piéger par les nombreux récifs qui entourent le curieux amas d’îlots qui forme Les Bermudes. Se faire bloquer ici serait très ennuyeux, non  que le cadre ne soit pas agréable mais la vie y est si chère que nous nous y sentons pauvres comme jamais. L’escale sera donc de courte durée et nous voilà en mer vers les Açores. Nous n’en avons pas encore conscience mais ce départ a quelque chose de différent de nos précédentes navigations. Rien ne nous semble étrange, nous partons pour plusieurs jours de mer comme nous avons maintenant l’habitude. Avitaillement et plein d’eau sont fait, gréement et accastillage sont vérifiés, météo et route sont soigneusement étudiées.

Pourtant, insinueusement, un détail grandi pour devenir l’évidence de cette route : nous sommes en Transat. Quelle différence cela peut-il faire, nous direz-vous, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Mais non, la réalité s’affirme, mille petits détails nous le montrent. La température de l’air et son humidité changent, nous ne verrons plus de pélicans et les puffins seront de plus en plus nombreux, le ciel et ses nuages feront changer la couleur de la mer. Il nous aura fallu quelques jours pour que toutes nos observations et nos ressentis convergent et nous poussent à admettre de l’importance de cette navigation, nous changeons de continent et  ce n’est pas anodin.

 Il en était de même pour la transat aller, de l’Europe vers les Antilles mais nous y étions plus préparés, notre imaginaire étant chargé depuis l’enfance de tous les mythes de ce trajet vers l’exotisme et l’inconnu. Le frisson qui parcourt le voyageur navigateur larguant les amarres pour sa première transat puis s’efface dans le soulagement et la fierté de l’arrivée de l’autre côté, n’est pas de même nature que celui du marin qui entreprend le chemin de retour vers l’Europe. Nous ne sommes plus des novices,  la route des Alizés n’avait que très peu d’aléas et d’embuches, celle du retour en atlantique nord entre dépression et anticyclone sera moins « plan-plan ».

Je reprends notre carnet de bord, mémoire codée de nos navigations.

Départ le lundi 3 juin du port de St Georges, vent 17 à 18 kts sur tribord de 100 à 115 °, vitesse fond 7.5 à 8.2 kts. 1 kt (knot ou nœud en français)= 1 mile/ heure soit 1,832km/h, c’est l’unité utilisée pour la vitesse du vent ou du bateau.  Des chiffres, des symboles, des abréviations, des positions abscons, des heures UTC, deux courbes, celle de la pression atmosphérique et celle de la force du vent, quelques mots pour l’éphéméride ou le niveau de charge des batteries. Quel manque de romantisme ! Cette partie visible, précise et concise recèle  en réalité nos émotions et des images que nous n’oublierons jamais. Je nous revois sortant du chenal entre les récifs, hissant les voiles et nous régalant de cette bonne brise qui nous accompagne. Le bateau glisse, passe avec souplesse et puissance dans le court clapot. La température est douce et l’air juste frais comme il faut pour bien le sentir. Nous sommes vent de travers, la gite est constante et le confort reste à inventer.

Mardi 4 juin, une note très court : « 15h, rattrapés par le front froid », quelques mots qui décrivent toute cette journée. Le ciel clair du matin qui se voile de quelques nuages d’altitude, puis qui se couvre et s’assombrit et nous chahute en la nuit avec grains et orages. En fin d’après-midi nous faisons le point sur la distance parcourue (192 Nm) et notre distance virtuel de rapprochement en ligne droite vers point d’arrivée (132Nm), deux chiffres qui en disent long sur notre route, nous ne naviguons pas en route directe, c’est un choix. Le jeu consiste à imaginer quelle sera la meilleure trace, qui n’est ni la plus droite, ni la plus sportive mais celle qui nous rapprochera le mieux et à moindre effort pour nous et le bateau.

Avez vous remarqué cette position exceptionnelle ?

Pour la première fois nous naviguons de conserve avec un bateau ami. Partis ensemble des Bermudes nous nous retrouverons aux Açores, nous échangeons tous les jours un message avec nos positions respectives et quelques commentaires. Cette vacation est un plaisir, nous l’attendons quotidiennement avec impatience et un brin de compétition se met en place. L’équipage de Carmina n’a pas la moitié de notre âge, Gillian et Marco ont la rage de nous dépasser et nous ne pouvons accepter que la Grande Lulu ne soit pas devant.

Nous ne tomberons pas dans l’excès de prise de risque et l’affaire se terminera en bon marin.

Les jours ne se ressemblent pas, la météo se charge de faire varier les plaisirs. Jeudi 5 juin, 11h de moteur, ce que nous redoutons le plus. Heureusement la situation ne se reproduira qu’une seule fois, nous y veillerons en choisissant une route adéquate.

DCIM\100GOPRO

Contrairement au régime des alizés, tellement stable que nous avions pu créer une petite vie régulière, cette transat retour ne nous laisse pas le loisir de nous installer ou de vaquer à des occupations autres que celle de la navigation. Sans que cela nous gâche la vie le plaisir d’activités extra-maritimes nous manque.

Les jours passent vite, nous alternons les quarts, la lune nous accompagne un peu plus chaque nuit. C’est la nuit que les longues contemplations de la mer me sont les plus agréables. Je ne me lasse pas de la beauté changeante des éléments et me laisse aller à un état de calme et de rêveries sur lequel le temps n’a plus d’emprise.

Samedi 6 juin. « vu une queue de baleine ». Un petit évènement peut nous occuper un bon moment.

Mardi 9 juin. 19h, 24 Kts de vent, la trinquette se déchire. En fait c’est une laize qui s’est décousue,  c’est moins grave mais cela nous porte un léger coup au moral. Nous devons être fatigués. Nous restons en voilure très réduite jusqu’à minuit pour nous reposer. La vitesse du bateau est très faible (4 Kts), les mouvements bien atténués, ce repos nous fait du bien.

Extrait du jeudi 11 juin : « De 15h à minuit, mer forte, houle de travers, le pilote fait seul le travail de barre, 70° du vent, 2 ris et genois roulé comme un grand tourmentin, on peut tenir facilement jusqu’à 30 Kts de vent. 23h30 le vent commence à adonner et à baisser, 26-25-21 kts. Pression en baisse 1018 on approche du centre de la dépression, minimum attendu 1015 ». A vous d’imaginer cette journée, laissez vous glisser sur les vagues, écoutez la mer pétiller sur la coque, sentez le vent sur votre visage, voyez la lune se refléter sur les crêtes, émerveillez vous de la fluorescence de l’eau, attendez la visite des dauphins. Rêvez, vivez …

Vendredi, Florés l’île la plus occidentale des Açores est à moins de 200 Nm (environ 370 km) le vent est tombé, la mer est chaotique, nous sommes chahutés, c’est une de nos pires journées de mer et nous sommes chagrinés à l’idée de terminer sur une impression mitigée d’autant qu’une vague a renversé la pâte à crêpes. Nous avons dû être entendus ! Le vent revient, la mer s’organise en une longue houle, les dernières 24 heures vont être superbes. Samedi 5h30 le phare de Vila dos Lajes est identifié. Flores nous apparait au petit matin, nous n’en voyons qu’une toute petite pointe, le reste de l’île est caché par un immense amas de nuages, la lumière du soleil levant est magnifique.

Samedi 15 juin 8h30, nous sommes dans le port de Flores. Carmina arrivera 30 heures après nous en méditant la réflexion d’Isabelle Autissier : «  une belle manœuvre peut faire gagner 8 minutes, un mauvais choix météo peut faire perdre 2 jours ».

La vie à terre reprend rapidement, à Florés comme dans tous les ports, il y a le café où les marins se retrouvent pour «  refaire » la transat en éclusant la bière locale.

De la Havane aux Bermudes

La Havane est une vieille dame

L’herbe pousse entre les pierres, les îlots de salpêtre soulèvent petit à petit la peinture qui s’écaille et s’envole,  les fissures dessinent des éclairs d’une fenêtre à l’autre,  les balcons se retiennent avec l’énergie du désespoir aux façades, la rouille brode des dentelles aux balustrades, une araignée fantaisiste tisse son fil électrique  d’une demeure à l’autre, tout ce qui peut protéger de la pluie s’inclut dans le grand patchwork des toitures et parfois, n’en pouvant plus, la maison s’écroule et ses gravats envahissent le trottoir.

Ses quartiers sont animés,  sur les trottoirs les rocking-chairs  balancent les papys, les femmes assises sur les marches papotent, les hommes jouent aux dominos, deux paires de tong pour les buts, une canette vide  pour le ballon et les garçons disputent un match décisif tandis que les filles font tourner les robes au rythme de la musique  qui sort des fenêtres ouvertes.

La Havane est une vieille dame mais tellement belle !

La moitié de la manne touristique s’emploie à restaurer les bâtiments et le cœur de la vieille ville a refait peau neuve mais il en reste tellement que le défi  de tout rénover avant que cela ne s’écroule semble difficile à tenir.

Et pourtant, il se dit que La Havane  serait la plus belle ville d’Amérique et nous sommes prêts à le croire.

Nous avons quitté Cuba, cette île exubérante, si singulière qui déclenche tant de passion  et navigué vers les très sages Bermudes. Changement d’ambiance, de décor, de niveau de vie. Les Bermudes, c’est comme un grand lotissement paysager de luxe. Les cottages sont séparés par de beaux jardins bien entretenus,  pas de clôtures, l’ensemble est harmonieux et nous sommes sous le charme. Les hommes portent dignement le bermuda, tout cela est tellement « british ». Pour l’ambiance, c’est exactement le contraire de La Havane, pas une écaille au mur et pas un chat dans les rues après 19 heures.

Après avoir été riches parmi les pauvres, nous voici pauvres parmi les riches. 10,5 dollars la pression, on passe vite fait à l’eau, nous ne nous attardons pas et poursuivons notre route vers les Açores

1er mai à Cuba

5H30 du matin, le muezzin syndiqué réveille toute la ville d’Holguin de ses discours sur fond de fanfare, nous sommes le 1er mai, que la fête du travail commence !
Sont-ils nombreux à s’être levés pour défiler si tôt ? Nous ne le savons pas, nous intégrons le flot des harangues dans un demi sommeil habitués que nous sommes à inviter les bruits de la mer dans nos rêves . Vers 9 heures, fini la parlotte, les choses sérieuses peuvent commencer. A croire que c’est exprès qu’ ils se débarrassent tôt des impondérables de la cérémonie pour profiter plus longtemps des festivités, car cela va durer toute la journée et toute la nuit.

Toute la population se réunit autour du stade de base ball, un espace est réservé aux enfants, tour de manège gratuit, prêt de tricycle, piscine de balles plus loin les associations de travailleur de ceci ou de cela, et il y en a un s’acré nombre, tiennent des stands où l’on peut manger ou boire , c’est un peu la fête de l’huma, la salsa en plus.

Mais le spot qui a le plus de succès après les toilettes est celui de l’état. Car le travailleur fait la fête et c’est l’état qui rince. Pas de feux d’artifice mais aujourd’hui, exceptionnellement, le litre de bière à la pression est à 5 pesos, soit 20 centimes d’euros. Les plus prévoyants sont venus avec de grandes thermos, pour les autres, quelques petits malins ont fait des réserves de bouteilles plastiques vides qu’ils vendent, nous sommes au pays de la débrouille.

Holguin est la ville où les 4 bières nationales sont brassées mais elle coule à flot dans tout le pays ce jour. C’est un produit assez cher, plus cher que le rhum, dans le village le plus reculé que l’on ait fait, coyo mambi, la canette était à un euro, le jus de mangue frais à 8 centimes alors qu’il est vendu 1 euro ailleurs. C’est très difficile de connaitre le vrai prix pour un étranger, la même assiette varie de 3 à 20 euros sans que ce soit liés aux « signes extérieurs de richesses » Toujours demander à voir la carte avant de s’attabler

Mais retournons faire la fête. Deux grandes scènes diffusent de la musique cubaine nouvelle génération car là , on est loin de buena vista social club, c’est plutôt Dj et sound system mais toujours au rythme de la salsa. C’est le début d’après midi, il fait plus de 30° mais rien n’arrête les danseurs. Nous nous régalons à les regarder, le rythme, les pas, le maintien sont différents mais les passes sont semblables au balboa, nous ne sommes pas perdus. La danse, la musique sont clairement à Cuba un lien fort entre les générations, l’ambiance est joyeuse, le contact facile.

Retour à la casa où nous sommes venus nous reposer sur les rocking chair, pas d’habitation sans eux. La casa d’Enrique est cossue et copieusement décorée, il n’y a qu’à Cuba que l’on peut voir le Che veiller sur la céne

CUBA

« Los Frances del Barco », voilà comment nous sommes interpellés dans les rues de Baracao. Incroyable ! Seulement 2 jours que nous avons jeté l’ancre et nous sommes repérés comme étant les français en bateau. Il faut dire que des français il n’y en peu et des bateaux encore moins. Baracao est à la pointe Est de Cuba, logiquement tous les voiliers devraient s’y arrêter puisque les alizés et les courants nous font arriver par ce côté de l’île. Mais notre logique n’est pas forcément logique pour les autorités cubaines et ils ont décidé que Baracoa ne serait pas un port d’entrée dans le pays et que les formalités obligatoires se feraient 150 Nm (presque 300 km) plus loin. Peu d’équipages font l’effort de revenir sur leurs pas, contre vents et courants, pour franchir la passe de la baie de Baracoa et s’ancrer au pied de la ville.

Pressentant que le jeu en valait la chandelle nous avons fait cette route inverse depuis Santiago de Cuba et ne l’avons pas regretté. Baracoa est pour l’instant notre visite préférée à Cuba. Nous nous y sommes immédiatement sentis bien. Après Santiago de Cuba, attirante mais polluée à l’excès, Baracoa est une douceur. Nous avons d’autant plus facilement trouvé nos marques que l’on nous a laissé nous installer et circuler sans restriction.
Les pêcheurs nous ont rapidement identifiés, nous sommes leurs hôtes, n’avons aucune crainte pour le bateau et notre annexe a sa place au dock à côté de la barque des garde-côtes.

Notre plaisir aux escales est de se laisser imprégner de l’ambiance, goûter à l’art de vivre, tenter de comprendre ce qui anime les gens. A Cuba, notre curiosité est aiguisée par cette fameuse révolution, si fascinante vue de l’occident, celle qui fît couler tant d’encre, objet de tant de débats, de querelles politiques, de poèmes, chansons…Comment vit-on dans une société socialiste ? La question a d’autant plus de sens à Cuba que l’isolement de l’île créé par l’embargo imposé par les américains depuis 1961 a agit comme une digue empêchant la mondialisation de tout emporter.
Loin d’une vision folklorique alimentée par nos fantasmes d’occidentaux libéraux, Cuba me fait penser à un dessin de Bilal où passé et futur se mélangent. L’architecture, les infrastructures, les véhicules, tous les objets de la civilisation de consommation sont restés bloqués à ce qui existaient dans les années 50, 60 et nous renvoient des sensations confuses de nostalgie et de manque. Faut-il tomber dans la compassion pour ce peuple qui n’a pas accès à notre excès d’abondance matérielle ?
Après plus de 10 ans de période « spéciale » où les étals restaient désespérément vides, l’embargo s’est allégé, Raul Castro a autorisé l’ouverture de petits commerces et Obama a desserré l’étau ; les cubains vous expliquent que maintenant on trouve de tout quand nous pourrions penser qu’ils manquent de tout.
Plutôt que de tergiverser ne vaudrait-il pas mieux observer et discuter avec eux au risque de percevoir ce qui pourrait être les bases d’un futur idéal ? Car éducation pour tous, soins et santé servis par une des meilleures médecines du monde et accessible à tous, culture riche et populaire, fierté de travailler mais aussi loisirs, sens de la collectivité et gentillesse font réellement partie du quotidien. N’est ce pas là ce que nous pouvons espérer de mieux pour nos enfants alors qu’ils perdent espoir dans la société que nous leurs léguons ?
N’allez pas croire que je me sois fait refiler la carte du parti au coin de la rue. Je ne suis pas prêt de l’accepter. Les anomalies, les disfonctionnements, les manques, les absurdités du systèmes sont tout aussi visibles. Malgré tout, à l’image des forêts primaires dont on préserve la diversité pour y puiser demain les graines de futurs médicaments, Cubalinda mériterait d’être protégée de tous nos excès pour y trouver des idées de pansement ou de renouveau pour nos civilisations en fin de cycle.

Et donc c’est avec une certaine fierté que nous nous sentons intégrés pour quelques jours en tant que « los frances del barco » à la vie de la petite ville de Baracoa. Nous voilà invités à danser à la Casa de la Trova, conseillés pour un bon repas, guidés dans le parc national, acceptés comme meneur de jeux sur la plage quand Annie se lance à faire des bulles de savon dans le vent. Notre place est éphémère comme celles de tous les voyageurs mais les cubains de Baracoa nous l’ont accordée avec générosité pendant nos quelques jours d’escales.

Cap sur Puerto da Vita, au nord mais nous y allons par le chemin des écoliers, explorant quelques baies sur la route. Le gouvernement cubain a très peur que l’on exporte un cubain au fond de la cale et pour s’en protéger, il y a mis en place une longue liste d’obligations et d’interdictions pour les voiliers, mais l’interprétation varie d’un garde-côte à l’autre. Profitant de la confusion, nous sommes entrés dans des baies plus ou moins autorisées, seul au mouillage, dans la petite anse toute ronde de Taco ou dans le dédale d’îlots de celle de Tanamo ressemblant au golfe du Morbihan.

Quel comité d’accueil quand nous mouillons dans un recoin de la lagune à Cayo Mambi petit village que nous avions repéré sur la carte. Notre arrivée ne passe pas inaperçue, au ponton des pécheurs, un petit groupe se forme déjà pour nous observer. Descente en annexe, à la rame, tranquillement. Les regards nous suivent, visages fermés, pas un mot. Petite inquiétude de notre part, sommes nous inopportuns ? Mais non, ce n’est que de la gène, juste la question de savoir comment être vis-à-vis de nous et comment nous même allons nous comporter. Quelques mots, bonjour nous sommes français, je m’appelle Hervé, je m’appelle Annie et voilà le naturel qui revient. Et le naturel c’est l’accueil, la gentillesse, le contact facile. Tout s’active, nous sommes pris en charge avec attention. En moins de temps qu’il nous aurait fallu pour exprimer une demande un pêcheur s’engage à surveiller le bateau, l’autre l’annexe et encore quatre qui nous emmènent en ville pour que nous puissions faire quelques courses. Plus tard nous demanderons s’il y a souvent des voiliers qui arrivent jusqu’ici, la réponse est simple « jamais ».
Aucun de nos nouveaux compagnons ne nous a demandé la moindre chose. Chacun a souhaité apporter un petit geste pour nous accueillir. Sans même que la question d’accepter ou de refuser ait un sens, nous nous retrouvons dans le taxi-charrette-à-cheval en direction du centre ville. Nos places sont payées par un de nos accompagnateurs, les conseils fusent, où faire quelques achats, comment prendre le taxi pour le retour, où aller, comment les retrouver si nous avons un problème, etc. C’est le milieu de la journée, chacun repart pour son travail et nous nous quittons sur de chaleureuses poignées de main.

Nous profitons de notre liberté pour nous promener le nez en l’air, relax, nous disant qu’une rencontre en amène souvent une autre. Effectivement une nouvelle rencontre se présente à nous, mais cette fois c’est la police. Nous avons un peu forcé sur notre naïveté et notre innocence et sommes un plein déni de la loi. Le vagabondage côtier est strictement interdit, nous ne devons naviguer et encore moins descendre à terre en dehors des ports autorisés et sous la surveillance des garde-côtes. Le pays de l’anti-impérialisme n’est pas toujours celui de la liberté de circulation. Quoi qu’il en soit nous voilà au commissariat, sans nos passeports, entourés d’une demi-douzaine d’hommes en uniforme qui ne savent pas trop bien quoi faire de nous. Reflexe militaire : devant une situation inconnue on appelle les supérieurs. Nous tendons l’oreille pour capter un peu de la conversation téléphonique et nous comprenons que La Grande Lulu est connue, repérée, pour ne pas dire surveillée. La solution à cette situation embarrassante pour tous est vite trouvée : pour « notre sécurité » nous sommes ramenés à notre bateau et « autorisés » à quitter sur le champs les lieux. Cet incident n’aura pas d’autre conséquence qu’une leçon de morale au prochain port que nous attenions deux jours plus tard, ce qui confirme avec enthousiasme que les communications fonctionnent bien à Cuba.