Nous naviguons vent arrière, direction Nord-Nord-Est. La Guadeloupe que nous venons de quitter s’éloigne rapidement. A ce moment nous ne savons pas encore que nous allons vers des changements surprenants.
Partant de la belle baie Deshaies au Nord de la Guadeloupe, nous avons à choisir entre deux choix de route. Depuis Tobago les iles se suivaient formant un arc de cercle régulier, nous suivions cette courbe et le seul choix était de s’arrêter ou pas dans chaque ile. Mais maintenant l’archipel s’élargit avec les grandes iles touristiques (Antigua, St-Barth, St-Martin, Anguilla) au vent, c’est-à-dire vers l’Est, et un chapelet de petites iles (Montserrat, Nevis et St-Kitts, Satia, Saba) plus sous le vent, soit plus à l’Ouest. Voilà deux routes qui se dessinent, s’éloignent puis se rejoignent aux Iles Vierges Britanniques et Américaines, dernières iles des petites Antilles. Sans trop hésiter nous choisissons la route sous le vent vers ces petites iles dont nous ne connaissons rien.
Sitôt partis, nous ressentons qu’il se passe quelque chose. Il n’y a plus de bateaux autour de nous, nous naviguons seuls ce qui est rare en ces régions. Nous progressons vers Montserrat, cette ile a la particularité d’avoir un volcan actif, la dernière éruption date de 1995, un grande partie a été ensevelie et la plus grande ville, la capitale, complétement détruite. L’activité volcanique est sous surveillance, les accès sont conditionnés aux humeurs du cratère. Quand la silhouette de Montserrat se précise et que nous commençons à distinguer les détails de la côte nous comprenons que nous avons basculé dans un autre monde. Fini les pentes verdoyantes et les plages de sable blanc. Fini les petits villages accueillants. Fini la douceur bisounours des Antilles touristiques. La côte sud par laquelle nous arrivons est brulée, arasée, laminée par des coulées de lave incroyables qui du cratère jusqu’à la mer ont tout emporté. Le cône fume toujours, un lourd nuage en descend et répand une forte odeur de soufre. Il nous est interdit d’approcher la côte à moins de 2 Nm (un peu moins de 4 km), nous trichons un peu pour mieux percevoir les détails de ce paysage minéral. En passant devant l’ancienne capitale nous distinguons clairement les ruines des maisons abandonnées et essayons d’imaginer sous une grande coulée de lave ce qui devait être le centre-ville. Un peu de végétation est réapparue dans ce qui a été le cœur de l’ile.



Nous continuons à longer la côte et sortons de la zone sensible du volcan. Assez rapidement nous voyons de nouvelles constructions, grandes et colorées, joyeuses et optimistes qui contrastent avec la désolation du sud de l’île. Dispersées à flanc de colline ces maison ne forment ni hameau ni ville. C’est une curieuse psychologie de reconstruction qui nous laisse interrogatifs. Nous mouillons devant un nouveau port qui n’est qu’une zone de débarquement un peu aménagée pour des barges et des bateaux de liaison. Notre projet initial était de partir randonner jusqu’au volcan, attirés par sa respiration mais il n’est pas accessible tous les jours et nous n’avons pas envie de nous faire emmener dans une promenade voyeuriste de la ville détruite.
Nous décidons donc de ne pas descendre à terre, de passer la nuit au mouillage et de repartir le lendemain matin. Nous sommes des étrangers de passage, fallait-il que nous allions nous présenter à l’immigration et aux douanes comme nous le faisons à chaque fois que nous nous arrêtons ? Nous n’en savons rien, la compréhension et l’interprétation des règles administratives n’est pas notre point fort. Personne ne nous a rien demandé, ni papier, ni taxe et nous sommes repartis tranquillement le lendemain matin, direction Nevis.
Nevis & St-Kitts, elles forment à elles deux un minuscule état indépendant. Un peu secoués par ce que nous avions aperçu de Montserrat nous nous demandons ce que nous allons trouver dans ce petit pays qui passe sous les radars du tourisme. Nevis est un joli petit volcan comme celui que l’on imagine dans nos dessins d’enfants, un cône , haut de 900 mètres retombant en pente douce vers les plages.
Nevis est calme, vraiment calme. Les gens marchent lentement, les voitures roulent doucement et s’arrêtent vingt mètres avant vous pour vous laisser traverser. On nous parle à voix basse, sans intonation. Visuellement nous ne sommes plus dans les mêmes Antilles. L’architecture est très différente, les bâtiments sont construits avec des rez-de-chaussée en pierres taillées grises, assemblées avec des angles nets et raides. Il s’en dégage une austérité toute protestante qui est contrebalancée par les étages qui eux sont en bois peints de couleurs vives. L’ensemble est agréable, équilibré.
Comme c’est la période du salon national de l’agriculture, nous y allons, c’est en plein air et ça tient sur la surface d’un terrain de foot. L’ile est visiblement aride, peu propice à la culture et à l’élevage, nous faisons les curieux. Les préoccupations sont dans l’air du temps, produisons et mangeons bio et local, gérons les ressources d’eau, ménageons la terre et la biodiversité. Ultra tendance correcte. Nous ne sommes restés que deux jours à Nevis, nous n’avons pas tout vu, nous n’avons pas vu d’activité agricole significative, ni d’activité industrielle, ni d’activité tout court. Par contre il y a beaucoup de banques… Notre petit niveau ne nous permet pas de comprendre l’intelligence et les rouages fins du fonctionnement d’un pays mais le doute est sournois.
Le temps d’envoyer la grand-voile il faut déjà préparer l’arrivée sur St-Kitts au port de Basseterre, grande ville du pays dont le nom rappelle que les français sont passés par là.
Ramollis par le rythme anémique de Nevis nous déambulons le nez en l’air dans la ville et traversons une rue avec le sourire de celui qui sait que les automobilistes lui répondront d’un geste aimable et courtois l’invitant à prendre son temps pour passer de l’autre côté. Mal nous en a pris ! Ils ont mis des feux aux passages piétons et il est d’une inconvenance absolue de ne pas les respecter. On s’est pris une soufflante qui nous a réveillés. Voitures qui ne ralentissent pas, klaxons agressifs, piétons qui qui nous font la morale, quel accueil !
Nous revenons vers le port et là nous comprenons que ça y est, nous sommes chez les nouveaux pirates. Les vrais, ceux des Antilles. Ce n’est pas une légende, ils existent. Ils tendent des pièges pour attirer les bateaux et les détrousser. Ils se cachent dans les recoins des iles les plus reculées. On y est.

Un décor de ville a été construit en bout des appontements pour paquebots. L’architecture flirte entre vrais faux docks restaurés et maison caribéennes. Un grand boulevard, des rues perpendiculaires, une place centrale, le tout rempli de guet-apens en forme de boutiques de luxe. Les armes sont prêtes, aucun dollar ne doit réchapper. Et comment attirer les grands bateaux de croisière dans ce piège ? Simplement en promettant le luxe ostentatoire au prix des économies d’un middle class. Surenchère d’offres extraordinaires, des diamants aussi gros que certifiés, du chocolat mieux que mieux à 14 $ la tablette, des copies de tout, vêtements, maroquinerie, joaillerie. Si à 50 ans tu n’as pas ta Rolex c’est que tu n’es pas venu à S-Kitts. Les pirates sont organisés, ici c’est le clan des hindous, ils tiennent l’ensemble de ce quartier-piège. Tu ne peux pas leur échapper, tu crois entrer flâner dans une boutique de fringues, tu ressors par la bijouterie après avoir traversé l’épicerie fine mais c’est toujours le même tiroir-caisse.
Le plan doit être bon puisqu’on construit un deuxième dock d’appontement. La capacité de piège, pardon d’accueil, va être portée à 4 paquebots. A quelques milliers de gogos par bateau ça fait un beau butin en prévision.
Il y a des jours sans, sans aucun paquebot. La ville piège devient alors ville fantôme. Rideaux baissés, pas un chat dans les rues, aucune vie. Il n’y a pas d’ambiguïté sur la raison d’être de ce lieu. Les nouveaux pirates sont moins sanguinaires que ceux de nos histoires mais fonctionnent sur les mêmes codes, ils profitent de l’avidité des sociétés riches, des touristes chargés de dollars.
Les deux prochaines îles devant nous sont Statia et Saba. Toutes deux sont Néerlandaises. Ce sont des colonies autonomes et des ports francs.
L’arrivée sur Statia est très agréable. Nous retrouvons un peu de verdure sur les pentes du volcan. Nous nous arrêtons à Oranjestad, seul village de l’île. L’influence hollandaise est évidente, maisons en pierres et en bois colorées, rues pavées, églises anglicanes et synagogue. Le village est en hauteur, la balade y est agréable, plus bas en bord de mer il y a juste ce qu’il faut d’animation.

Pas d’activité mais un esprit bobo-écolo, une vie saine dans un pays durable.

Mais que ce passe-t-il un peu plus au nord ? Nous ne pouvons ignorer ces pétroliers qui attendent on ne sait quoi. Naviguant le long de la côte nous découvrons, à peine camouflé par un petit promontoire, un immense complexe de stockage d’hydrocarbure. Voilà qui dénote avec la belle ambiance de la ville.

Que font là ces milliers de tonnes de pétroles ? Réserves stratégiques ? Répartition avant envoi vers les pays consommateurs ? Trésor de pirate d’un nouveau genre ?
Quoi qu’il en soit Statia et juste après Saba nous régalent de leurs silhouettes dès que nous sommes en mer. Il y a une grâce dans leurs lignes douces, dans l’équilibre de leurs formes.
Nous sommes sur la route des surprises et Saba ne va pas être en reste car depuis La Guadeloupe, quelques heures de navigation suffisent pour passer d’un univers à l’autre. L’île est minuscule, presque ronde. Juste le haut d’un volcan qui émerge et culmine à 600 m d’altitude. La côte est des plus arides, Les deux villages se sont installés en hauteur faute de place près de la mer. C’est la seule île que nous ayons vue avec cette disposition. Partout ailleurs les villes et villages sont au ras de l’eau et les hauteurs restent désertes.
Il n’y a pas de côte accessible, seulement des falaises. Il est impossible d’entrer dans le minuscule port situé au sud où nous sommes censés faire les formalités d’entrées. Impossible également de mouiller, il y a trop de fond. Quelques bouées sont à disposition mais ceux qui ont décidé de l’endroit où les mettre n’ont jamais du naviguer en voilier. En plein vent et pleine houle il ne sera pas simple de s’y amarrer et encore moins simple de réussir à rejoindre la cale de débarquement avec notre petite annexe.
Il y a un mouillage plus abrité à l’ouest de l’île, nous l’avons repéré sur les cartes. Plus à l’abri du vent et surtout de la houle, il est possible d’y rester. Le cadre est beau et sauvage mais comment faire pour descendre à terre ? Il n’y a pas de grève, juste quelques mètres de rochers et de galets qui roulent à chaque vague. Et en supposant que nous arrivions à débarquer comment faire pour sécuriser l’annexe et escalader la falaise pour rejoindre le village. Il y a bien un ancien escalier, 800 marches taillées dans la roche au XVII siècle. A l’époque, l’inaccessibilité était la meilleure des protections.

Jugeant l’opération de débarquement trop risquée nous décidons de rester à bord. Nous passerons la journée au mouillage et partirons en fin d’après-midi pour les Iles Vierges où nous voulons arriver de jour.
Saba restera pour nous l’ile inaccessible, l’ile mystérieuse.
Super cet article sur des îles que l on ne connaît pas bien…bonne traversée vers Cuba . Pour nous c est 4 belles journées en perspective à Buenos aires avant le retour sur la turballe . Bises
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