La Grande Lulu au Pays des Narcos

Toujours intéressés par ce qu’il se passe autour de nous, nous avons tenté de comprendre l’histoire contemporaine de la Colombie. Nous nous y attelons avec toute notre bonne volonté mais très vite, on s’y perd, c’est comme vouloir maîtriser la géopolitique du moyen orient ou tout savoir sur la vie des stars. Pourtant, le principe est simple. On mélange politiciens, narcotraficants et guérilleros, on observe comment ils s’associent entre eux puis régulièrement on rebrasse le potage pour suivre l’évolution des alliances, des trahisons, l’ascension des uns, la chute des autres.

Plus concrètement,  on nous a conté l’histoire de la petite région du Teyruna, nichée au nord de la Colombie, entre mer caraïbe et Sierra Nevada. Quand, au début du XVI ème siècle, les espagnols ont débarqué dans la région avec leur lot de catastrophes, les amérindiens, les teyrunas qui y vivaient depuis longtemps ont été décimés en quelques années. La montagne restera peu habitée jusque dans les années 1950, où les paysans viennent se réfugier dans la sierra pour fuir la guerre civile nommée « la violenza ».. Ils défrichent et cultivent la terre mais trop éloignés de Santa Marta ils ne peuvent vendre correctement leur production et vivotent. Ils s’adaptent au marché et profitent de l’opportunité de la marijuana qu’ils plantent largement. Les acheteurs affluent, le niveau de vie explose. La production augmente tant et tant que le département anti-drogue des USA se fâche.

Par avion, on déverse copieusement du désherbant sur la région, plus rien ne pousse, les rivières sont polluées, les vallées deviennent invivables, la misère revient vite. Toujours résilients les paysans montent un peu plus haut dans la montagne et plantent la coca pour l’industrie des narcotrafiquants. A nouveau l’argent coule à flot, alors arrivent les premiers guérilleros qui « offrent » leur protection contre une partie des gains. De plus en plus gourmands, ils n’hésitent pas à éliminer les paysans récalcitrants et leur famille. Quelques paysans s’organisent en milice pour se protéger de leurs protecteurs, là, ça commence à être le bazar mais accrochez-vous, ça va encore se compliquer. Parallèlement, à coup de Caterpillar, une route est tracée entre Santa Marta et le Venezuela passant par le Teyruna. Les machines creusent, détruisent au passage quelques antiques terrasses circulaires  sur lesquelles les amérindiens bâtissaient leur maison et là, oh surprise, on découvre que les teyrunas enterraient les morts sous les habitations avec tous leurs biens, poteries et…bijoux en or.

Une flopée d’Indiana Jones en herbe, pilleurs de tombes, débarque. Une quantité indéfinissable de trésors quitte le pays pour des collections privées mais les locaux ne veulent pas partager cette nouvelle galette. Pas question d’avertir les autorités ni les archéologues, cela pourrait en plus nuire au commerce de la coca. Dorénavant tout étranger se promenant avec une pelle et une pioche est un homme mort.

 Voilà tous les ingrédients d’un bon polar.

La ciudad perdida est découverte durant cette période, en 1976. Cette cité retrouvée passionne Frederrico Rey qui se désole du carnage archéologique et de la violence ambiante. Il négocie entre les paysans, les autorités et les archéologues un « traité ». Les paysans reçoivent de l’argent pour chaque pied de coca arraché, (on ne renouvelle pas le désastre du désherbant), ils participent à la restauration des sites et au développement d’un éco tourisme, l’armée vient chasser les pilleurs de tombes et éloigner les guérilleros…et ça marche.

Pourquoi on vous raconte tout cela ? C’est que depuis les flots bleus parfois l’appel de la forêt devient criant. Cela étonne certains quand nous leur expliquons que nous ne nous lassons pas de regarder la mer, toujours changeante, toujours unique. Guetter les rayons de soleil qui transpercent la crête des vagues et les éblouissent d’émeraude est un plaisir de contemplatif, tout comme se laisser fondre dans les couleurs du soir quand la mer devient or et le ciel chamarré de rose. Mais vient le désir quasi bestial d’aller se rouler dans le vert, fouler la terre, planter nos pieds nus dans l’herbe, prendre un peu d’altitude, retrouver l’ombre des arbres, écouter le chant des oiseaux, les cris des animaux, rechercher les odeurs et marcher pour refaire nos jambes ramollies par les navigations.

C’est ainsi que nous nous sommes embarqués pour un trek de quelques jours qui nous a mené à la Ciudad Perdida, celle que El Señor Rey a su préserver.

Les trois premiers jours nous avons emprunté un chemin de muletier qui longeait la rivière, remontait vers les cols, se perchait sur les crêtes. Souvent le bruit de l’eau nous accompagnait, pianissimo ou fortissimo quand nous approchions de cascades et  couvrait le chant des oiseaux, la végétation changeait au fur et à mesure que nous prenions de l’altitude et quelques percées dans la forêt nous dévoilaient la grandeur du paysage.

De quoi largement satisfaire nos envies de terre. Nous avons retrouvé le plaisir de la marche, de l’effort, la satisfaction d’arriver au gîte, d’ôter sacs et chaussures pour se baigner dans les torrents, de partager nos impressions et d’écouter nos guides Marron (prononcez Marone) et José nous raconter leur histoire. Marron est né ici, à 6 ans il participait à la récolte de la marijuana.

Le 3ème jour nous avons gravit les 1200 marches qui mènent au site. L’endroit est magique, impressionnant, splendide…170 terrasses dégagées, parfaitement circulaires, bâties en pierres sèches sur lesquelles les teyrunas construisaient leurs habitations.

Des milliers d’hommes y ont vécu entre 800 et 1650, nous foulons leur terre en essayant de les imaginer, reconstruisons virtuellement les huttes, la fumée qui s’échappe des faîts, les animaux, les cris des enfants gambadant d’une terrasse à l’autre, la vie…et puis Colomb arrive et c’est l’effondrement en une seule génération. Est-ce pour cela que les survivants qui occupent encore la Sierra ont le visage impassible, l’air si triste.

Nous quittons les lieux pour laisser en paix les esprits.

La descente des 1200 marches est périlleuse, le retour au 21eme siècle se fait en un jour et demi. L’accès au site est limité à 80 visiteurs par jour, l’organisation du treck fait travailler beaucoup de monde et cela se voit sur l’opulence des maisons du village de base, la coca, c’est du passé !

Quand José nous rejoint dans la marina pour partager notre soirée sur La Grande Lulu, nous lui faisons part de notre étonnement à voir autant de luxueux bateaux de pêche aux gros, excessivement motorisés, il nous regarde le sourire en coin un peu moqueur de notre naïveté et nous sort avec évidence «  narcos ! »

Cet article a été écrit «  au vert ». Au-dessus de Minca, 750m d’altitude, les effluves de jasmin chatouillaient nos narines, moult oiseaux exotiques chantaient, insectes de toutes espèces faisaient l’orchestre et un singe hurleur criait du haut de la montagne. En toile de fond la succession de collines qui descendent jusqu’à Santa Marta où nous attendait La Grande Lulu.

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Un commentaire sur “La Grande Lulu au Pays des Narcos

  1. Quel plaisir de vous lire et de partager vos découvertes ! Merci tout plein. On vous bise goulûment ! Isabelle et Olivier

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