Un mois que nous sommes au Brésil, le mois où le monde a changé, le dernier mois de voyage où nous pouvions savourer les dernières découvertes et rêver des suivantes.
12 jours de traversée depuis le Cap Vert, une semaine idyllique vent portant jamais trop fort, pas de grain, pas de mer, pas trop chaud, 2 jours pour traverser le pot au noir à petite vitesse, lentement mais surement , LE passage de l’équateur, forcément émouvant et une fin un peu inattendue au prés, avec le courant contre mais pas de quoi nous empêcher d’arriver à temps pour le dernier jour de carnaval de Recife.
Bem-vinda ao Brasil.

Un bain de foule brésilienne après notre huis clos, nous étions un peu hésitants. Rien dans les poches, nous nous sommes enfoncés dans le vieux Récife en suivant le flux des carnavaliers. Des familles complètes, 3 générations déguisées, maquillées, venues danser et chanter en suivant les différentes écoles de musique et danse qui défilaient dans les rues, se croisant dans tous les sens mais en attendant toujours que l’un est fini son morceau et passe pour commencer le sien. Bref, pas mal de discipline dans un joyeux bazar et déjà la certitude que nous allons nous plaire ici.

Récife et Salvador, deux grandes villes où nous sommes passés, juste passés, à peine de quoi s’imprégner de l’atmosphère, d’en comprendre le fonctionnement, suffisamment pour voir que les riches sont très riches et les pauvres nombreux, que les touristes sont rassemblés dans quelques rues et que la vraie vie est juste après. La rue d’après, au début, on n’osait pas trop y aller, ou juste un orteil car on a reçu tellement de mises en garde sur l’insécurité que nous n’arrivions pas à faire le tri, mais petit à petit on s’y est « aventuré » pour enfin trouver une vie de quartier avec sa foule de gens affairés, ses commerces de bouches, les boutiques de fringues et les fameux restaurants au kilo, un concept à importer : c’est un self-service, on remplit son assiette, elle est pesée à la fin du présentoir et tout de suite on voit lequel est le plus gourmand des deux.
A la tombée du soir, les petits marchands de rue ramassent leurs étals, les grilles des boutiques descendent et dès que la nuit domine, vers 18h, les rues sont vides, désertes, mortes, retour en taxi obligatoire. L’insécurité, nous l’avons ressenti ainsi, indirectement.
Salvador de Bahia de todos os santos, c’est qu’il faut lui bien tous les saints pour veiller sur ses 3 millions d’habitants et même si le cœur de la ville, le Pelourinho, a été restauré pour le bonheur des touristes, même si en faisant abstraction des boutiques de souvenirs on peut y imaginer les personnages de Jorge Amado descendre joyeusement les rues pavées et se héler d’une fenêtre à l’autre, Salvador de Bahia est un peu étouffante.
Alors on s’enfonce dans les terres, on prend de l’altitude et on va se mettre au vert dans le parc national de la Chapada Diamantina. Lençois, une petite citée coloniale, en est la porte d’entrée. Jusqu’à la création du parc, en 1985, c’était le domaine du diamant, la ville était riche, certaines bâtisses opulentes le témoignent, probablement celles des commerçants, des prêteurs sur gage car les garimpeiros, quand ils revenaient après plusieurs semaines passées à creuser la montagne avec quelques diamants dans les poches avaient la réputation de flamber dans la rue de la soif. On dit que les pavés des rues recèlent pleins de petits diamants tombés des poches lors des beuveries Cachaça, filles, jeux, paris, en quelques heures il ne leur restait plus qu’à repartir gratter la roche. Des histoires de vies pour alimenter l’imaginaire des scénarios de films, des romans et des chansons de Bernard Lavilliers. Maintenant la rue de la soif est bien proprette avec toutes ces petites maisons colorées qui abritent restaurants et cafés où se retrouvent les randonneurs de tous les pays.
Il n’y a plus d’activités dans le parc, seuls quelques chercheurs de diamants sont autorisés à continuer mais avec des méthodes « douces », la culture du café et l’élevage ont été repoussé aux confins du parc. Pas de moteur sur cette superficie grande comme un quart de la Loire Atlantique, on circule à cheval, en mule ou à pied. Une poignée de paysans ont pu conserver leur maison et se sont convertis dans l’accueil de randonneurs.
Les paysages de la Chapada nous ont tant été vantés que nous avons hâte de nous y enfoncer. Notre petit groupe de trek est bigarré comme une ruelle du Brésil. Gilvan sera notre guide, Julie est marin pêcheur au Cap Breton, Marina de Munich voyage depuis plusieurs mois en Amérique latine et Javier est colombien. Gilvan connaît bien la Chapada, pendant 8 ans il a été garimpeiros et il n’a pas perdu la main. Il connaît les gués, les grottes que l’on peut traverser pour changer de vallée, celles où l’on se cachent, l’arbre qui brûle sans faire de fumée pour ne pas être repérer, les racines que l’on mange, les cactus qui recèlent de l’eau à boire et qui indiquent l’ouest, les plantes qui soignent, les serpents dangereux mais moins dangereux que le soleil qui tape. Il connaît aussi l’euphorie quand le diamant est dans ta paume et la fiesta où l’on dépense tout. Maintenant il emmène les marcheurs sur ses anciennes pistes et depuis qu’il côtoie des voyageurs de tout pays, il économise pour s’acheter un combi WW et partir à son tour sur les routes.
Gilvan

La découverte, l’émerveillement, les rencontres, tous ces ingrédients qui font l’essence de notre voyage sont réunis. Les paysages sont à couper le souffle, ici nous mesurons la beauté de la nature, l’espoir de constater qu’elle s’est remise de l’exploitation anarchique des sous-sols et le désespoir quand nous apprenons que Bolsonaro rêve de relancer l’industrie du diamant. Mais pour l’instant, dans ce petit bout de terre isolé, loin de toutes agitations, nous vivons des moments de plénitude. En passant du brésilien au français et à l’anglais, nous partageons tous la même émotion, insouciants car là haut, la tête dans les étoiles, le monde ne nous a pas encore rattrapé.
