1er mai à Cuba

5H30 du matin, le muezzin syndiqué réveille toute la ville d’Holguin de ses discours sur fond de fanfare, nous sommes le 1er mai, que la fête du travail commence !
Sont-ils nombreux à s’être levés pour défiler si tôt ? Nous ne le savons pas, nous intégrons le flot des harangues dans un demi sommeil habitués que nous sommes à inviter les bruits de la mer dans nos rêves . Vers 9 heures, fini la parlotte, les choses sérieuses peuvent commencer. A croire que c’est exprès qu’ ils se débarrassent tôt des impondérables de la cérémonie pour profiter plus longtemps des festivités, car cela va durer toute la journée et toute la nuit.

Toute la population se réunit autour du stade de base ball, un espace est réservé aux enfants, tour de manège gratuit, prêt de tricycle, piscine de balles plus loin les associations de travailleur de ceci ou de cela, et il y en a un s’acré nombre, tiennent des stands où l’on peut manger ou boire , c’est un peu la fête de l’huma, la salsa en plus.

Mais le spot qui a le plus de succès après les toilettes est celui de l’état. Car le travailleur fait la fête et c’est l’état qui rince. Pas de feux d’artifice mais aujourd’hui, exceptionnellement, le litre de bière à la pression est à 5 pesos, soit 20 centimes d’euros. Les plus prévoyants sont venus avec de grandes thermos, pour les autres, quelques petits malins ont fait des réserves de bouteilles plastiques vides qu’ils vendent, nous sommes au pays de la débrouille.

Holguin est la ville où les 4 bières nationales sont brassées mais elle coule à flot dans tout le pays ce jour. C’est un produit assez cher, plus cher que le rhum, dans le village le plus reculé que l’on ait fait, coyo mambi, la canette était à un euro, le jus de mangue frais à 8 centimes alors qu’il est vendu 1 euro ailleurs. C’est très difficile de connaitre le vrai prix pour un étranger, la même assiette varie de 3 à 20 euros sans que ce soit liés aux « signes extérieurs de richesses » Toujours demander à voir la carte avant de s’attabler

Mais retournons faire la fête. Deux grandes scènes diffusent de la musique cubaine nouvelle génération car là , on est loin de buena vista social club, c’est plutôt Dj et sound system mais toujours au rythme de la salsa. C’est le début d’après midi, il fait plus de 30° mais rien n’arrête les danseurs. Nous nous régalons à les regarder, le rythme, les pas, le maintien sont différents mais les passes sont semblables au balboa, nous ne sommes pas perdus. La danse, la musique sont clairement à Cuba un lien fort entre les générations, l’ambiance est joyeuse, le contact facile.

Retour à la casa où nous sommes venus nous reposer sur les rocking chair, pas d’habitation sans eux. La casa d’Enrique est cossue et copieusement décorée, il n’y a qu’à Cuba que l’on peut voir le Che veiller sur la céne

CUBA

« Los Frances del Barco », voilà comment nous sommes interpellés dans les rues de Baracao. Incroyable ! Seulement 2 jours que nous avons jeté l’ancre et nous sommes repérés comme étant les français en bateau. Il faut dire que des français il n’y en peu et des bateaux encore moins. Baracao est à la pointe Est de Cuba, logiquement tous les voiliers devraient s’y arrêter puisque les alizés et les courants nous font arriver par ce côté de l’île. Mais notre logique n’est pas forcément logique pour les autorités cubaines et ils ont décidé que Baracoa ne serait pas un port d’entrée dans le pays et que les formalités obligatoires se feraient 150 Nm (presque 300 km) plus loin. Peu d’équipages font l’effort de revenir sur leurs pas, contre vents et courants, pour franchir la passe de la baie de Baracoa et s’ancrer au pied de la ville.

Pressentant que le jeu en valait la chandelle nous avons fait cette route inverse depuis Santiago de Cuba et ne l’avons pas regretté. Baracoa est pour l’instant notre visite préférée à Cuba. Nous nous y sommes immédiatement sentis bien. Après Santiago de Cuba, attirante mais polluée à l’excès, Baracoa est une douceur. Nous avons d’autant plus facilement trouvé nos marques que l’on nous a laissé nous installer et circuler sans restriction.
Les pêcheurs nous ont rapidement identifiés, nous sommes leurs hôtes, n’avons aucune crainte pour le bateau et notre annexe a sa place au dock à côté de la barque des garde-côtes.

Notre plaisir aux escales est de se laisser imprégner de l’ambiance, goûter à l’art de vivre, tenter de comprendre ce qui anime les gens. A Cuba, notre curiosité est aiguisée par cette fameuse révolution, si fascinante vue de l’occident, celle qui fît couler tant d’encre, objet de tant de débats, de querelles politiques, de poèmes, chansons…Comment vit-on dans une société socialiste ? La question a d’autant plus de sens à Cuba que l’isolement de l’île créé par l’embargo imposé par les américains depuis 1961 a agit comme une digue empêchant la mondialisation de tout emporter.
Loin d’une vision folklorique alimentée par nos fantasmes d’occidentaux libéraux, Cuba me fait penser à un dessin de Bilal où passé et futur se mélangent. L’architecture, les infrastructures, les véhicules, tous les objets de la civilisation de consommation sont restés bloqués à ce qui existaient dans les années 50, 60 et nous renvoient des sensations confuses de nostalgie et de manque. Faut-il tomber dans la compassion pour ce peuple qui n’a pas accès à notre excès d’abondance matérielle ?
Après plus de 10 ans de période « spéciale » où les étals restaient désespérément vides, l’embargo s’est allégé, Raul Castro a autorisé l’ouverture de petits commerces et Obama a desserré l’étau ; les cubains vous expliquent que maintenant on trouve de tout quand nous pourrions penser qu’ils manquent de tout.
Plutôt que de tergiverser ne vaudrait-il pas mieux observer et discuter avec eux au risque de percevoir ce qui pourrait être les bases d’un futur idéal ? Car éducation pour tous, soins et santé servis par une des meilleures médecines du monde et accessible à tous, culture riche et populaire, fierté de travailler mais aussi loisirs, sens de la collectivité et gentillesse font réellement partie du quotidien. N’est ce pas là ce que nous pouvons espérer de mieux pour nos enfants alors qu’ils perdent espoir dans la société que nous leurs léguons ?
N’allez pas croire que je me sois fait refiler la carte du parti au coin de la rue. Je ne suis pas prêt de l’accepter. Les anomalies, les disfonctionnements, les manques, les absurdités du systèmes sont tout aussi visibles. Malgré tout, à l’image des forêts primaires dont on préserve la diversité pour y puiser demain les graines de futurs médicaments, Cubalinda mériterait d’être protégée de tous nos excès pour y trouver des idées de pansement ou de renouveau pour nos civilisations en fin de cycle.

Et donc c’est avec une certaine fierté que nous nous sentons intégrés pour quelques jours en tant que « los frances del barco » à la vie de la petite ville de Baracoa. Nous voilà invités à danser à la Casa de la Trova, conseillés pour un bon repas, guidés dans le parc national, acceptés comme meneur de jeux sur la plage quand Annie se lance à faire des bulles de savon dans le vent. Notre place est éphémère comme celles de tous les voyageurs mais les cubains de Baracoa nous l’ont accordée avec générosité pendant nos quelques jours d’escales.

Cap sur Puerto da Vita, au nord mais nous y allons par le chemin des écoliers, explorant quelques baies sur la route. Le gouvernement cubain a très peur que l’on exporte un cubain au fond de la cale et pour s’en protéger, il y a mis en place une longue liste d’obligations et d’interdictions pour les voiliers, mais l’interprétation varie d’un garde-côte à l’autre. Profitant de la confusion, nous sommes entrés dans des baies plus ou moins autorisées, seul au mouillage, dans la petite anse toute ronde de Taco ou dans le dédale d’îlots de celle de Tanamo ressemblant au golfe du Morbihan.

Quel comité d’accueil quand nous mouillons dans un recoin de la lagune à Cayo Mambi petit village que nous avions repéré sur la carte. Notre arrivée ne passe pas inaperçue, au ponton des pécheurs, un petit groupe se forme déjà pour nous observer. Descente en annexe, à la rame, tranquillement. Les regards nous suivent, visages fermés, pas un mot. Petite inquiétude de notre part, sommes nous inopportuns ? Mais non, ce n’est que de la gène, juste la question de savoir comment être vis-à-vis de nous et comment nous même allons nous comporter. Quelques mots, bonjour nous sommes français, je m’appelle Hervé, je m’appelle Annie et voilà le naturel qui revient. Et le naturel c’est l’accueil, la gentillesse, le contact facile. Tout s’active, nous sommes pris en charge avec attention. En moins de temps qu’il nous aurait fallu pour exprimer une demande un pêcheur s’engage à surveiller le bateau, l’autre l’annexe et encore quatre qui nous emmènent en ville pour que nous puissions faire quelques courses. Plus tard nous demanderons s’il y a souvent des voiliers qui arrivent jusqu’ici, la réponse est simple « jamais ».
Aucun de nos nouveaux compagnons ne nous a demandé la moindre chose. Chacun a souhaité apporter un petit geste pour nous accueillir. Sans même que la question d’accepter ou de refuser ait un sens, nous nous retrouvons dans le taxi-charrette-à-cheval en direction du centre ville. Nos places sont payées par un de nos accompagnateurs, les conseils fusent, où faire quelques achats, comment prendre le taxi pour le retour, où aller, comment les retrouver si nous avons un problème, etc. C’est le milieu de la journée, chacun repart pour son travail et nous nous quittons sur de chaleureuses poignées de main.

Nous profitons de notre liberté pour nous promener le nez en l’air, relax, nous disant qu’une rencontre en amène souvent une autre. Effectivement une nouvelle rencontre se présente à nous, mais cette fois c’est la police. Nous avons un peu forcé sur notre naïveté et notre innocence et sommes un plein déni de la loi. Le vagabondage côtier est strictement interdit, nous ne devons naviguer et encore moins descendre à terre en dehors des ports autorisés et sous la surveillance des garde-côtes. Le pays de l’anti-impérialisme n’est pas toujours celui de la liberté de circulation. Quoi qu’il en soit nous voilà au commissariat, sans nos passeports, entourés d’une demi-douzaine d’hommes en uniforme qui ne savent pas trop bien quoi faire de nous. Reflexe militaire : devant une situation inconnue on appelle les supérieurs. Nous tendons l’oreille pour capter un peu de la conversation téléphonique et nous comprenons que La Grande Lulu est connue, repérée, pour ne pas dire surveillée. La solution à cette situation embarrassante pour tous est vite trouvée : pour « notre sécurité » nous sommes ramenés à notre bateau et « autorisés » à quitter sur le champs les lieux. Cet incident n’aura pas d’autre conséquence qu’une leçon de morale au prochain port que nous attenions deux jours plus tard, ce qui confirme avec enthousiasme que les communications fonctionnent bien à Cuba.