Petit saut par petit saut nous voici au nord des petites Antilles, aux îles vierges dans la partie britannique. Imaginez, amis marins, une cinquantaine d’îles et îlots entre Groix et Hoëdic le beau bassin pour régater ! Les formes sont douces et arrondies, collines arides s’élevant de quelques centaines de mètres, posées sur l’eau comme un troupeau de tortues géantes qui se reposerait sur les eaux limpides. De petites plages au sable blanc se nichent au fond des baies, choisir le mouillage « paradisiaque » du soir est le grand problème de la journée.
Prenez le vent des alizés toujours constant entre sud-est et nord-est, ajoutez une petite rafale de vent catabatique qui descend des reliefs pour jouer le rock’roll dans la voile, mettez-y une bonne accélération d’effet de pointe au passage entre les îles, n’oubliez pas de penser aux courants, semez quelques cailloux et hauts fonds à éviter et voilà : le plateau de jeu est prêt pour la bagarre.
Dès l’ancre relevée, le capitaine de « La Grande Lulu » scrute le terrain à la recherche d’un lièvre à sa hauteur, les critères sont strictes : un vrai bateau de vrai marin, en deux mots, un monocoque à la voilure bien choisie. Ici, il y a beaucoup de vacanciers sur des bateaux de location qui utilisent surtout le moteur. Quand devant nous, navigue une belle coque effilée aux voiles bien réglées, Hervé commence à s’exciter, voici la bête à rattraper, saluer et surtout dépasser. A la barre, un œil sur le concurrent l’autre sur les voiles il donne les consignes. Choquer, border, choquer, border, choquer border… l’écoute de génois à bâbord, l’écoute de la grand-voile à tribord, j’exécute les ordres et passe d’un winch à l’autre pour garder le meilleur réglage malgré les variations, on fignole en jouant sur la bordure et le halebas. Souvent notre « victime » s’en moque et nous regarde la dépasser en nous saluant comme tout bon marin respectant la tradition mais parfois, on tombe sur un teigneux pis qu’Hervé et nous voilà lancés. L’excitation monte d’un cran de part et d’autre, la cadence des consignes itou.
Ne rien lâcher, profiter des moindres effets de côte. C’est dans les transitions du vent que l’on gagne ou que l’on perd. Molle devant, ça va refuser, un peu de barre sous le vent, on anticipe sur le réglage du génois. Le vent revient, on en profite pour remonter en escalier et augmenter notre décalage latéral. Ça monte encore en ondulant, on barre à pression constante peu importe les variations de cap c’est la vitesse qui prime. Un peu moins de vrillage sur la chute de GV et la vitesse augmente encore. Cap identique, vitesse supérieure, c’est bon on va les avoir !
Notre plus belle prise est un oyster de 66 pieds battant pavillon anglais pour vous dire comme nous étions motivés, rude fut la bataille mais grande la jubilation !
Aux îles vierges, on peut même se vanter d’avoir passé le Drake* en manche de chemise.
The baths
Une fois les voiles pliées, que faire aux îles vierges ? Plonger le nez masqué dans l’aquarium, aller se promener à « the baths », c’est juste splendide et puis… se poser sur la plage et bénir l’exceptionnelle loi du littoral française qui nous protège de toutes les aberrations de constructions vues ici.
Cap à l’ouest pour Cuba, nous quittons cette ambiance un peu superficielle où tout est fait pour le vacancier et comment lui faire approcher le paradis en le délestant de ses biens matériaux, en l’occurrence, ses dollars.
le passage du Drake le plus connu des marins est celui qui sépare le cap Horn de l’Antarctique mais c’est aussi le passage principal au centre des îles vierges. Hurlant ou rugissant, mieux vaut être bien couvert.
Nous naviguons vent arrière, direction Nord-Nord-Est. La
Guadeloupe que nous venons de quitter s’éloigne rapidement. A ce moment nous ne
savons pas encore que nous allons vers des changements surprenants.
Partant de la belle baie Deshaies au Nord de la Guadeloupe, nous
avons à choisir entre deux choix de route. Depuis Tobago les iles se suivaient
formant un arc de cercle régulier, nous suivions cette courbe et le seul choix
était de s’arrêter ou pas dans chaque ile. Mais maintenant l’archipel s’élargit
avec les grandes iles touristiques (Antigua, St-Barth, St-Martin, Anguilla) au
vent, c’est-à-dire vers l’Est, et un chapelet de petites iles (Montserrat,
Nevis et St-Kitts, Satia, Saba) plus sous le vent, soit plus à l’Ouest. Voilà
deux routes qui se dessinent, s’éloignent puis se rejoignent aux Iles Vierges
Britanniques et Américaines, dernières iles des petites Antilles. Sans trop
hésiter nous choisissons la route sous le vent vers ces petites iles dont nous
ne connaissons rien.
Sitôt partis, nous ressentons qu’il se passe quelque chose. Il n’y a plus de bateaux autour de nous, nous naviguons seuls ce qui est rare en ces régions. Nous progressons vers Montserrat, cette ile a la particularité d’avoir un volcan actif, la dernière éruption date de 1995, un grande partie a été ensevelie et la plus grande ville, la capitale, complétement détruite. L’activité volcanique est sous surveillance, les accès sont conditionnés aux humeurs du cratère. Quand la silhouette de Montserrat se précise et que nous commençons à distinguer les détails de la côte nous comprenons que nous avons basculé dans un autre monde. Fini les pentes verdoyantes et les plages de sable blanc. Fini les petits villages accueillants. Fini la douceur bisounours des Antilles touristiques. La côte sud par laquelle nous arrivons est brulée, arasée, laminée par des coulées de lave incroyables qui du cratère jusqu’à la mer ont tout emporté. Le cône fume toujours, un lourd nuage en descend et répand une forte odeur de soufre. Il nous est interdit d’approcher la côte à moins de 2 Nm (un peu moins de 4 km), nous trichons un peu pour mieux percevoir les détails de ce paysage minéral. En passant devant l’ancienne capitale nous distinguons clairement les ruines des maisons abandonnées et essayons d’imaginer sous une grande coulée de lave ce qui devait être le centre-ville. Un peu de végétation est réapparue dans ce qui a été le cœur de l’ile.
Nous continuons à longer la côte et sortons de la zone
sensible du volcan. Assez rapidement nous voyons de nouvelles constructions,
grandes et colorées, joyeuses et optimistes qui contrastent avec la désolation
du sud de l’île. Dispersées à flanc de colline ces maison ne forment ni hameau
ni ville. C’est une curieuse psychologie
de reconstruction qui nous laisse interrogatifs. Nous mouillons devant un
nouveau port qui n’est qu’une zone de débarquement un peu aménagée pour des
barges et des bateaux de liaison. Notre projet initial était de partir
randonner jusqu’au volcan, attirés par sa respiration mais il n’est pas accessible
tous les jours et nous n’avons pas envie de nous faire emmener dans une
promenade voyeuriste de la ville détruite.
Nous décidons donc de ne pas descendre à terre, de passer la
nuit au mouillage et de repartir le lendemain matin. Nous sommes des étrangers
de passage, fallait-il que nous allions nous présenter à l’immigration et aux
douanes comme nous le faisons à chaque fois que nous nous arrêtons ? Nous n’en savons rien, la compréhension et
l’interprétation des règles administratives n’est pas notre point fort.
Personne ne nous a rien demandé, ni papier, ni taxe et nous sommes repartis
tranquillement le lendemain matin, direction Nevis.
Nevis & St-Kitts, elles forment à elles deux un minuscule état indépendant. Un peu secoués par ce que nous avions aperçu de Montserrat nous nous demandons ce que nous allons trouver dans ce petit pays qui passe sous les radars du tourisme. Nevis est un joli petit volcan comme celui que l’on imagine dans nos dessins d’enfants, un cône , haut de 900 mètres retombant en pente douce vers les plages.
Nevis est calme, vraiment calme. Les gens marchent
lentement, les voitures roulent doucement et s’arrêtent vingt mètres avant vous
pour vous laisser traverser. On nous parle à voix basse, sans intonation.
Visuellement nous ne sommes plus dans les mêmes Antilles. L’architecture est
très différente, les bâtiments sont construits avec des rez-de-chaussée en
pierres taillées grises, assemblées avec des angles nets et raides. Il s’en
dégage une austérité toute protestante qui est contrebalancée par les étages
qui eux sont en bois peints de couleurs vives. L’ensemble est agréable,
équilibré.
Comme c’est la période du salon national de l’agriculture, nous y allons, c’est en plein air et ça tient sur la surface d’un terrain de foot. L’ile est visiblement aride, peu propice à la culture et à l’élevage, nous faisons les curieux. Les préoccupations sont dans l’air du temps, produisons et mangeons bio et local, gérons les ressources d’eau, ménageons la terre et la biodiversité. Ultra tendance correcte. Nous ne sommes restés que deux jours à Nevis, nous n’avons pas tout vu, nous n’avons pas vu d’activité agricole significative, ni d’activité industrielle, ni d’activité tout court. Par contre il y a beaucoup de banques… Notre petit niveau ne nous permet pas de comprendre l’intelligence et les rouages fins du fonctionnement d’un pays mais le doute est sournois.
Le temps d’envoyer la grand-voile il faut déjà préparer
l’arrivée sur St-Kitts au port de Basseterre, grande ville du pays dont le nom
rappelle que les français sont passés par là.
Ramollis par le rythme anémique de Nevis nous déambulons le
nez en l’air dans la ville et traversons une rue avec le sourire de celui qui
sait que les automobilistes lui répondront d’un geste aimable et courtois
l’invitant à prendre son temps pour passer de l’autre côté. Mal nous en a
pris ! Ils ont mis des feux aux passages piétons et il est d’une
inconvenance absolue de ne pas les respecter. On s’est pris une soufflante qui
nous a réveillés. Voitures qui ne ralentissent pas, klaxons agressifs, piétons
qui qui nous font la morale, quel accueil !
Nous revenons vers le port et là nous comprenons que ça y
est, nous sommes chez les nouveaux pirates. Les vrais, ceux des Antilles. Ce
n’est pas une légende, ils existent. Ils tendent des pièges pour attirer les
bateaux et les détrousser. Ils se cachent dans les recoins des iles les plus
reculées. On y est.
Un décor de ville a été construit en bout des appontements pour paquebots. L’architecture flirte entre vrais faux docks restaurés et maison caribéennes. Un grand boulevard, des rues perpendiculaires, une place centrale, le tout rempli de guet-apens en forme de boutiques de luxe. Les armes sont prêtes, aucun dollar ne doit réchapper. Et comment attirer les grands bateaux de croisière dans ce piège ? Simplement en promettant le luxe ostentatoire au prix des économies d’un middle class. Surenchère d’offres extraordinaires, des diamants aussi gros que certifiés, du chocolat mieux que mieux à 14 $ la tablette, des copies de tout, vêtements, maroquinerie, joaillerie. Si à 50 ans tu n’as pas ta Rolex c’est que tu n’es pas venu à S-Kitts. Les pirates sont organisés, ici c’est le clan des hindous, ils tiennent l’ensemble de ce quartier-piège. Tu ne peux pas leur échapper, tu crois entrer flâner dans une boutique de fringues, tu ressors par la bijouterie après avoir traversé l’épicerie fine mais c’est toujours le même tiroir-caisse.
Le plan doit être bon puisqu’on construit un deuxième dock
d’appontement. La capacité de piège, pardon d’accueil, va être portée à 4 paquebots. A quelques milliers de gogos par
bateau ça fait un beau butin en prévision.
Il y a des jours sans, sans aucun paquebot. La ville piège
devient alors ville fantôme. Rideaux baissés, pas un chat dans les rues, aucune
vie. Il n’y a pas d’ambiguïté sur la
raison d’être de ce lieu. Les nouveaux pirates sont moins sanguinaires que ceux
de nos histoires mais fonctionnent sur les mêmes codes, ils profitent de
l’avidité des sociétés riches, des touristes chargés de dollars.
Les deux prochaines îles devant nous sont Statia et Saba. Toutes deux sont Néerlandaises. Ce sont des colonies autonomes et des ports francs.
L’arrivée sur Statia est très agréable. Nous retrouvons un
peu de verdure sur les pentes du volcan. Nous nous arrêtons à Oranjestad, seul
village de l’île. L’influence hollandaise est évidente, maisons en pierres et
en bois colorées, rues pavées, églises anglicanes et synagogue. Le village est
en hauteur, la balade y est agréable, plus bas en bord de mer il y a juste ce
qu’il faut d’animation.
Pas d’activité mais un esprit bobo-écolo, une vie saine dans un pays durable.
Mais que ce passe-t-il un peu plus au nord ? Nous ne pouvons ignorer ces pétroliers qui attendent on ne sait quoi. Naviguant le long de la côte nous découvrons, à peine camouflé par un petit promontoire, un immense complexe de stockage d’hydrocarbure. Voilà qui dénote avec la belle ambiance de la ville.
Que font là ces milliers de tonnes de pétroles ? Réserves stratégiques ? Répartition avant envoi vers les pays consommateurs ? Trésor de pirate d’un nouveau genre ?
Quoi qu’il en soit Statia et juste après Saba nous régalent
de leurs silhouettes dès que nous sommes en mer. Il y a une grâce dans leurs lignes douces,
dans l’équilibre de leurs formes.
Nous sommes sur la route des surprises et Saba ne va pas
être en reste car depuis La Guadeloupe, quelques heures de navigation suffisent
pour passer d’un univers à l’autre. L’île est minuscule, presque ronde. Juste
le haut d’un volcan qui émerge et culmine à 600 m d’altitude. La côte est des
plus arides, Les deux villages se sont installés en hauteur faute de place près
de la mer. C’est la seule île que nous ayons vue avec cette disposition.
Partout ailleurs les villes et villages sont au ras de l’eau et les hauteurs
restent désertes.
Il n’y a pas de côte accessible, seulement des falaises. Il
est impossible d’entrer dans le
minuscule port situé au sud où nous sommes censés faire les formalités
d’entrées. Impossible également de mouiller, il y a trop de fond. Quelques
bouées sont à disposition mais ceux qui ont décidé de l’endroit où les mettre
n’ont jamais du naviguer en voilier. En plein vent et pleine houle il ne sera
pas simple de s’y amarrer et encore moins simple de réussir à rejoindre la cale
de débarquement avec notre petite annexe.
Il y a un mouillage plus abrité à l’ouest de l’île, nous
l’avons repéré sur les cartes. Plus à l’abri du vent et surtout de la houle, il
est possible d’y rester. Le cadre est beau et sauvage mais comment faire pour
descendre à terre ? Il n’y a pas de grève, juste quelques mètres de
rochers et de galets qui roulent à chaque vague. Et en supposant que nous
arrivions à débarquer comment faire pour sécuriser l’annexe et escalader la
falaise pour rejoindre le village. Il y a bien un ancien escalier, 800 marches
taillées dans la roche au XVII siècle. A l’époque, l’inaccessibilité était la
meilleure des protections.
Jugeant l’opération de débarquement trop risquée nous décidons de rester à bord. Nous passerons la journée au mouillage et partirons en fin d’après-midi pour les Iles Vierges où nous voulons arriver de jour.
Saba restera pour nous l’ile inaccessible, l’ile mystérieuse.
La Martinique, La Dominique, La Guadeloupe, trois îles qui font rêver, on y trouve des petits bouts
de paradis, les belles plages, les forêts vierges, les grandes cascades d’eaux
limpides, la langue chantée des créoles.
Malgré une urbanisation assez forte, La Martinique nous régale de
petites perles, à Anse d’Arlet une simple bière servie sur une table en
plastique se transforme en apéro romantique, nous sommes sur la plage, les
pieds dans le sable, le couché de soleil devant nous. A Saint Pierre une fanfare
locale se prépare pour le carnaval et répète dans la rue. Du Prêcheur à Grand
Rivière une belle randonnée nous offre un beau bouquet de montagne, de forêt et
de bord de mer.
La Guadeloupe, ou plutôt les îles de La Guadeloupe, nous
renvoient à nos rêves des Antilles. Les Saintes, Marie Galante, La Désirade,
Basse Terre et Grande Terre nous promènent des histoires de pirates à la
chanson de Voulzy. Les îles sont si proches les unes des autres que l’on est
surpris de leurs diversités. De la sécheresse des Saintes nous passons en un
saut de puce (de mer) à la forêt humide de Basse Terre. De la fébrilité de
Pointe à Pitre nous nous sauvons vers le calme et le charme suranné de Marie
Galante. Les mouillages sont nombreux, la navigation vive : un rêve de plaisancier.
On pourrait voyager dans une légère insouciance, profiter
du soleil, de la mer et du ti punch mais voilà, on ne peut pas toujours rester
aveugle surtout quand ça saute aux yeux.
Toutes ces îles ont
été touchées par le cyclone Maria en septembre 2017 qui a fait sur toutes les
caraïbes quelques centaines de morts, et des milliers de maisons dévastées,
d’arbres arrachés, de chemins ravinés.
A La Dominique les stigmates sont encore très présents 18
mois plus tard, l’état peine à restaurer les bâtiments publics, nombre
de maisons restent sans toiture mais bâchées, rafistolées, sans fenêtres, il y
a des robinets dans les rues, l’eau n’arrive pas dans toutes les habitations.
L’île, indépendante depuis 1978, vivait essentiellement de l’agriculture et du
développement d’un tourisme vert, tout cela a du mal à redémarrer. Les
dominicains sont très accueillants et leur île est magnifique, on aimerait bien
les aider un peu.
Simon et son équipage sur la « Barbara », (le karaté n° 1 pour les amateurs de voilier) sont
restés pour monter une toiture en tôle, le propriétaire les a copieusement
rémunérés en rhum, ils sont rentrés très fatigués.
Guest-house et chemins de rando sillonnent l’île, un bon
plan pour les marcheurs. L’accès est souvent payant, une façon comme une autre
de participer à l’économie locale, c’est celle que nous avons choisie. Forêts
humides et sèches, volcans, lacs comblant les
cratères, cascades et chemins de crêtes surplombant l’ensemble nous ont
enchantés.
Les cyclones ont fortement impacté la forêt. Les grands arbres sont tous cassés à mi-hauteur sur de larges couloirs. Pour autant ce n’est pas un paysage de désolation que nous avons trouvé. La canopée étant détruite, le soleil et la pluie parviennent maintenant jusqu’au sol et profitant de cette aubaine une nouvelle végétation colonise les couches basses de la forêt. Plantes, fougères, herbes qui normalement n’ont pas assez d’eau et de lumière pour se développer dans ses forêts sèches, rivalisent de vitalité pour coloniser le sol et les premiers mètres de hauteur.
Quant aux grands arbres, en manque de respiration, ils ont réagis en se recréant un feuillage, vite fait, sans prendre le temps de se refaire des branches, et donc à même le tronc. Cela leur donne un drôle de look, comme une coupe de cheveux branchée mais d’un gout douteux.
L’ensemble forme un paysage improbable, de lumières, d’une multitude de
verts parfois fendue d’un vol de perroquet à la queue rouge, d’odeurs,
de formes, de vies.
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En mer, nous ne pouvons pas rester aveugles non plus
à la prolifération des sargasses, ces algues dorées que les courants portent et
qui envahissent les côtes Est, au vent des îles. C’est comme les algues vertes
bretonnes, elles s’amoncèlent sur les plages et leur concentration dégage des
gaz toxiques. Rejets de nitrates et phosphates des cultures intensives
brésiliennes (les courants remontent de là et il faut bien trouver un
responsable, étranger de préférence), réchauffement climatique seraient les
causes du phénomène. En mer, on en voit pas mal disséminées, elles nous gênent
pour pêcher. Pourtant, dans « le vieil homme et la mer » Hemingway
écrit qu’elles signalent les crevettes et les daurades mais nous, quand on
remonte la ligne, on a…un paquet de sargasses. Un jour en mer, le banc était
tellement épais qu’une tortue se reposait dessus. Soyons optimistes, quelques
utilisations se développent, en Floride, une couche de sargasse, une couche de
sable, une couche de plantation permettent de fixer les dunes. Des bretons l’utilisent
dans la fabrication d’un nouveau « plastique » et à Marie Galante les agriculteurs les
répandent en guise d’engrais, ils vont ré-inventer la bonote noirmoutrine.
Justement, à propos de produit phytosanitaire, ici, en
Guadeloupe, on ne parle que du chlordécone.
Quèsaco ? Un pesticide utilisé massivement dans les
bananeraies de 1972 jusqu’à son interdiction en 1993 (interdit dès 1979 aux
USA, ce n’était pas Monsanto le producteur). Très toxique, le produit s’est
répandu partout et persiste. Sols, rivières, bétails, volailles et légumes
racines, le cycle connu, tout est contaminé et par répercussion, la totalité de
la population. Cancer de la prostate, infertilité, malformation…Notre source
est sûre, c’est le coiffeur d’Hervé qui le dit ! Mais les infos sont
faciles à trouver si vous ne voulez pas venir jusqu’ici pour une coupe.
Pour ceux qui veulent du rêve en veux-tu en voilà, il y en a
encore pour tous. Les plages sous le vent sont propres, pas de détritus, pas de
plastique dans l’eau limpide, ni près des récifs. Le long des roches la vie est
très active, un masque un tuba et nous voilà dans un nouveau monde coloré et
frétillant, petits et gros poissons y fraient. Petit détail, 28°, c’est la
température de l’eau…
Hier, nous avons croisé au large de La Guadeloupe notre première baleine
qui a sauté et fait de gros splaschs en retombant dans la mer. Cela
nous a rendu heureux pour le reste de la journée.
Canalisation d’eau en bois façonné comme un long tonneau. Vu à La Dominique et aux Grenadines
De Tobago à La Martinique nous
nous sommes pris au jeu de la navigation aux Antilles.
Des distances courtes entre les
iles, l’embarras du choix pour les mouillages, du vent et du soleil, que
manque-t-il ? Des gens sympas, oui partout ! Du rhum, presque
trop ! De l’eau translucide, oui cristalline et chaude ! Des baies de
pirates, on en trouve !
L’ambiance est lumineuse,
joyeuse, colorée, musicale. Nous n’avons pas cherché de profondeur en second
plan de ce tableau de rêve. Il n’y a peut-être rien à trouver, peu importe
restons superficiels, légers et en vacances. Navigation le matin, escale et
bain l’après-midi, apéro le soir.
Avec bonheur nous cabotons de
cartes postales en tableaux pastel. Notre plaisir est sur l’eau, au ras de la
côte à jouer avec le vent et les courants. Seulement quelques heures de
navigation entre deux mouillages et nous ne sommes jamais pressés d’arriver,
alors nous trainons, voilure réduite, et nous admirons la beauté des îles. Sans
cesse nous nous émerveillons des paysages. Tous les jours nous trouvons le plus
beau mouillage, la plus merveilleuse plage, l’eau la plus lumineuse, le village
le plus accueillant, … Mais arrêtons les comparatifs et les superlatifs,
inutile de hiérarchiser, apprécions
chaque instant, chaque lumière,
ils sont si nombreux à être exceptionnels.
Tobago est la chanceuse de ces
îles. A l’écart de la route des bateaux de location et des charters, elle
profite du dynamisme économique de sa grande sœur Trinidad pour pouvoir vivre
aisément. On y a compté moins de 20 bateaux pour l’ensemble de l’ile, quelle
tranquillité. Charlotteville, au nord, est la baie idéale. Sa courbe soulignée
par une belle végétation fleurie est parfaite, le village de pêcheurs anime la
plage, La Grande Lulu s’y dandine de plaisir. C’est l’endroit idéal et que nous
conseillerions pour une arrivée de transat. Le rêve antillais n’y est pas
brisé, bien au contraire.
Les 80 Nm entre Tobago et Grenade sont avalés dans la journée, 10 heures de navigation toniques nous permettent de partir et d’arriver de jour. A Grenade nous trouvons la masse des bateaux de plaisance. Le grand port de St George et quelques baies aux alentours concentrent les mouillages. Ce sera toujours ainsi jusqu’en Martinique, quelques endroits bondés et la plupart des autres mouillages beaucoup plus calmes.
A regarder les autres on imagine
le rêve de chacun. Avoir un très beau, très grand voiler, ou plutôt un bateau
de pirate, ou alors un minuscule bateau, ou bien celui fait de ses mains. Etre
en voyage, ou en vacances, insouciant les pieds dans l’eau et le verre de punch
à la main.
Grenade, Les Grenadines formées
par Union Island, Mayreau, Canouan, Tobago Cays, Moustique, Béquia nous offrent
un terrain de jeu fantastique. Si aujourd’hui ces îles sont calmes et stables
et que nous pouvons nous y promener sans arrière-pensée, cela n’a pas toujours
été le cas. Grenade fête ses 50 ans d’indépendance, ce n’est pas si loin.
Pendant longtemps Anglais et Français s’y sont affrontés pour se les approprier
et on retrouve dans les noms des lieux les traces de ces deux envahisseurs.
Les Anglais ont laissé des noms assez
prévisibles comme Britania Bay, Endeavour Bay, Georgetown, Port Elizabeth et
ont été suffisamment fourbes pour dénommer un ridicule caillou «
Bonaparte ». Les Français ont été plus imaginatifs, voire gaulois et nous
sommes passés par Petit Bordel Bay, pointe du Petit trou et pointe de Chique la
moule, l’île Morpion voisine de la
Punaise, les îlots Petit Bateau et Petit Tabac, Vide bouteille, Brute, Diable, Lascar
et autre Zozio …
Nous continuons vers le nord, vers St Vincent et Ste Lucie. Plus
grandes, ces iles semblent plus contrastées avec des villes riches et
des villages plus démunis. Au nord de St Vincent nous nous arrêtons à
Chateaubelair bay. Malheureusement pour le petit village, un fond de
houle et une plage un peu trop pentue rendent l’accès en annexe délicat.
Alors sur les bateaux de passage les équipages restent à bord et le
village ne profite pas de cet apport économique. Quelques téméraires
viennent sur les embarcations de fortune nous proposer des fruits et
leur service pour visiter les alentours. Nous rencontrons Boy-Boy. Son
nom semble être un gag mais quand plus tard nous demanderons le chemin
de sa maison on nous l’indiquera sans hésitation, c’est donc bien comme
cela qu’il s’appelle. Boy-Boy parle un peu français, il a appris avec
des cassettes que lui a données une femme sur un bateau qui passe ici de
temps en temps. « Une bretonne comme vous » nous dit-il. Il est malin
Boy-boy il a repéré notre ‘gwen-a-du’ et tente le message « les bretons
sont généreux ». le lendemain matin, profitant d’une houle un peu plus
faible, nous arrivons enfin à débarquer et retrouvons Boy-Boy juste là
quand il le faut près à nous aider. Curieux hasard pensons-nous que
l’endroit où nous avons réussi à débarquer soit là où il vit. Naïfs que
nous sommes ! Il n’y a pas de hasard, il n’est là que pour nous. Nous
nous laissons faire et acceptons sa proposition de nous guider jusqu’aux
chutes qui font la renommée de l’arrière-pays. L’endroit est
effectivement sympathique. Nous remercions notre guide pour pouvoir
profiter à notre rythme des lieux et convenons de le retrouver à sa
maison. Même si nous ne nous attendions pas à une superbe villa nous
sommes sous le coup en y arrivant. Sur un tout petit terrain en forte
pente, Boy-Boy vit dans une masure de bois et de tôles. Sa pauvreté nous
touche.
Il nous reçoit avec le sourire, nous montre fièrement ses quelques arbres fruitiers, bananiers, orangers et ananas. Boy-Boy n’est pas dans la plainte, il a des projets, nous montre la minuscule pirogue qu’il s’est fabriquée « beaucoup de travail, explique-t-il » et le petit bateau pneumatique qu’il a récupéré et qu’il répare depuis longtemps. «Il me manque de la colle pour finir les réparations » et il espère que quelqu’un voudra bien lui en ramener de Martinique. Boy-Boy ne demande rien expressément, il explique juste de quoi il a besoin et qu’il ne peut se procurer. Quand vient le moment de se quitter Boy-Boy a l’amitié collante, il nous retient et veut nous faire un cadeau. Il nous offre trois bananes de son jardin et une petite poignée de noix de muscade, puis nous demande quand nous reviendrons.
Notre vie de voyageur est faite de rencontres et de départs.
Rapide halte de deux jours à Ste Lucie puis nous reprenons la mer pour La Martinique. Nous nous régalons de la navigation dans les canaux entre les iles. Réputés difficiles ces quelques heures de navigation sont en réalités simples. Le vent et les courants ne sont plus capricieux comme sous le vent des îles et nous pouvons faire marcher La Grande Lulu à son maximum. Évidemment il y a un bon 20 nœuds de vent et la mer qui va avec. Pour ceux à qui on a vendu « une croisière de rêve sur un catamaran » et qui commencent par ces passages agités, on peut comprendre que ce soit inconfortable mais pour qui est amariné (et navigue sur un vrai bateau) c’est un bonheur.
Nous voyons La Martinique avec un
œil neuf. Nous n’y étions jamais allés ensemble et nos précédentes visites
respectives nous avaient laissé sur notre faim. Pas assez exotique, trop proche
de nos habitudes hexagonales, trop loin de nos fantasmes sur les Caraïbes. Nous
apprécions aujourd’hui cette île pour les même raisons qui nous faisait ne pas
trop l’aimer hier. Qu’il est bon de retrouver nos repères. La langue française,
le pain, l’odeur d’un « vrai » café.
Nous y sommes quelques jours pour
prendre soin de La Grande Lulu, qu’elle nous emmène tous encore longtemps !
600 Nm (1 100 km) entre les Iles du Salut et
Scaborougth, port principal de Tobago. Nous voilà repartis pour quelques jours
de navigation.
Les conditions de navigation sont étonnantes pour qui a
l’habitude de naviguer en Bretagne. Un seul bord, vent constant, route en ligne
droite. Cela semble bien facile, d’autant que le courant des Caraïbes nous
pousse vivement. Nous ne mettrons que 3 jours (73 heures exactement) pour faire
ces 600 Nm, c’est pour l’instant notre record de vitesse. Restons modestes,
quand nous sommes descendus aux Iles du Salut nous étions sur une route inverse
et avec le courant et le vent dans le nez il n’y avait pas eu de quoi pavoiser
sur notre vitesse moyenne.
Peu importe, nous en avons bien profité. Grand-voile haute,
génois maxi, La vie est belle dans les Alizés. Nos prenons un ris de confort
pour la nuit car nous savons maintenant que le vent forcit le soir jusqu’à 20/22
Kn. Inutile de tracer la courbe de pression atmosphérique, ce n’est pas
l’indicateur de météo pertinent à cette latitude. Globalement les Alizées sont
constants avec une légère variation de direction dans la journée et un
renforcement la nuit. Les grains sont à surveiller, ils n’ont jamais été
inquiétants. Nous avons même pêché un petit thon qui faisait juste la bonne
taille pour nos 3 jours. Quand tout va bien…
Tobago, notre porte d’entrée aux Petites Antilles. Changement
d’ambiance. L’air est plus sec, les nuits plus fraiches, 25° quand même.
Notre impression est de passer du terrain d’aventure au village
vacances. Heureusement pour nous Tobago n’est pas sur la route classique
des bateaux de plaisance qui eux viennent principalement du nord
(Martinique et Guadeloupe) et qui redoutant la navigation au près ne
vont pas plus sud que Grenade.