Les Açores, on aime !

On l’a déjà dit, on le redit et le répète à qui veut l’entendre, nous aimons les îles des Açores. Et nous ne sommes pas les seuls à les aimer. Les Açoriens aiment les Açores, c’est normal évidemment. Les gens de passages, touristes ou voyageurs aiment les Açores. Les navigateurs aiment les Açores.

Qu’il y-a-t-il donc de si fantastique ici ?

A  écouter les impressions des uns et des autres ce qui revient en premier n’est pas la liste  des plus beaux sites, un souvenir gastronomique, une météo idyllique, tout ce qui fait des vacances-voyages réussis, mais un sentiment de bien-être ; « On se sent bien ici ! », « c’est cool ! », « quel pays reposant ! ». Des mots simples pour exprimer une alchimie complexe.

Sans rejeter ce qui nous a séduit dans notre balade antillaise il faut bien admettre que rien n’est plus interchangeable qu’une plage ‘paradisiaque_sable-blanc_et_cocotiers’, qu’on peut se lasser de l’exotisme superficiel et bruyant de l’apéro ‘reggae_ty-punch’, qu’on ne se souviendra sans doute pas  de tous les couchers de soleil inoubliables sur les mers turquoises. Les Açores nous proposent autre chose, plus en nuances, plus en profondeur.

Débarquant après la traversée sur l’île de Flores, on va se dégourdir les jambes dans le village de Lajes , les rues sont calmes, à peine entend-t-on quelques sons provenant des fenêtres ouvertes, les maisons sont bien entretenues, blanches avec l’entourage des ouvertures soulignées d’une couleur, l’ensemble est harmonieux. Pas un papier au sol ne vient troubler la vue, encore moins un tag. Chaque habitant croisé nous souhaite une bonne journée, plus tard, nous remarquerons que les conducteurs se saluent toujours aussi et laisse la clé sur le contact. Ici, un antivol est un objet incongru. A la terrasse du café, si musique il y a, elle reste en sourdine, on va commander son expresso  au bar, on paie,  maintenant ou plus tard, çà n’a pas d’importance, à la fin, on rapporte sa tasse au comptoir. Et c’est cette plénitude, cette douceur de vivre, cette sensation d’état de grâce, qui font des Açores un archipel où « on se sent bien » dès la fin de notre première promenade.

En arrivant il y a l’émerveillement, la beauté et le caractère marqué de chaque île. Toutes sont volcaniques, donc apparemment semblables mais elles ont leur propre histoire géologique et humaine. Nos yeux se régalent des points de vue mêlant cratères et mer, grotte et orgue de basalte, falaise et « fajas », fin bandeau de terre entre falaise et mer où la vie et l’activité humaine se sont accrochées. Les formes tantôt  rondes et lisses, tantôt vives et acérées sont soulignées par un jeu de couleurs simple et contrasté : le noir des pierres et du sable, le vert des vignes et des forêts, le bleu des hortensias et de la mer. Les hommes y ont ajouté le blanc des maisons souligné de quelques encadrements colorés. La lumière changeante des ciels de l’Atlantique se charge de faire varier à l’infini les nuances

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En prenant pied sur la côte puis tout au long des sentiers c’est un assemblage pêle-mêle d’odeurs qui nous surprendra. Nous y reconnaitrons dans ces mélanges les senteurs de menthe, d’eucalyptus, de jasmin, de réglisse, de fenouil, d’immortelle, de thym, de chèvrefeuille et comme pour mieux accentuer cette douceur sucrée, quelques fortes odeurs de soufre aux abords des fumeroles.

Car l’activité volcanique est bien présente. Les cratères et coulées de lave façonnent toujours le décor. Ici une île s’est agrandie de quelques hectares et un nouveau paysage lunaire s’est accolé aux pentes vertes, là la carte marine signale qu’une colonne sous-marine de plus de mille mètres de haut affleure presque et que la géographie est susceptible de changer au gré des irruptions. Ailleurs le sol est chaud, bouillant et fumant, et sert de four pour le pot-au-feu familial.

Nos pieds et nos mains sont en contact direct avec cette géologie turbulente et rugueuse. Nous ressentons physiquement les chaos successifs qui ont façonné les paysages. Les pierres de lave irrégulières, légères et aigues côtoient les sections hexagonales des énormes poussées de basalte, les failles sont franches et profondes comme des crevasses de glacier. Le sable du bord de côte est noir, les falaises vertigineuses. Il faut remercier la ténacité des açoriens qui depuis les premiers colons du XVème et jusqu’à aujourd’hui adoucissent ce tableau en développant l’agriculture. Les pierres ont été ratissées et mise en murets qui quadrillent la campagne, les pentes abruptes ont été réorganisées en terrasses, des chemins ont été tracés, des villages agrémentent les collines, de minuscules ports donnent accès à la mer.

Cet aigre-doux de sensations se confirme dans les sonorités açoriennes. Il y a le silence reposant des campagnes, le calme des rues, les carillons bastringues des églises (et les chants folkloriques nasillards) mais aussi le ronflement de la mer, le sifflement du vent. Et puis, il y a les cris des puffins argentés, ces oiseaux de mer qui le soir reviennent à la falaise et s’interpellent bruyamment sur un ton de crécerelle.

Tous nos sens sont sollicités par ce mélange des genres, contradictoires sans jamais être dans l’excès, et nous ressentons cet équilibre reposant propre aux Açores.

Nous ne pourrions nous sentir si bien si nous n’étions pas bien accueillis par les açoriens. Il n’y a aucune ambiguïté, nous sommes les bienvenus. Le sourire est permanent, l’attention est réelle, la politesse une évidence. L’accueil dans les ports et dans la rue est sincère, chacun a le désir de nous rendre le séjour agréable et facile. Margarita annulera son projet de l’après-midi pour nous faire visiter son île en voiture, Luis et Carolina nous feront visiter leur maison typique, Paolo nous invitera pour un diner parce que de ses fenêtres on verra mieux le spectacle des vachettes dans la rue. Les « Clube Navale » invitent avec plaisir qui veut participer aux régates d’été.

Partout, de Flores où nous sommes arrivés après notre traversée depuis les Bermudes à Santa Maria d’où nous repartons pour Madère nous aurons le même accueil, la même invitation à rester, et nous avons mis le pied sur chacune des 9 îles de l’archipel.

CORVO

Flores et Corvo, les petites îles du nord-ouest sont plus isolées, le climat y est plus rude, plus humide, plus venté. Ce sont les îles aux versants verts, aux cascades généreuses et aux nuages gris. La houle du large n’épargne aucun recoin de la côte et les pêcheurs loin d’être agacés de notre présence à leur quai nous apprennent des techniques d’amarrage qui nous serviront dans bien des endroits.

Les îles centrales rivalisent d’arguments pour nous retenir :

Graciosa, seule île à ne pas encore avoir de port de plaisance, compense cette difficulté d’accès par la gentillesse sans faille de ses habitants.

Faial et son port mythique d’Horta, le grand rendez-vous des marins.

Pico, qui culmine à 2350 mètres et joue avec les nuages. Quelle satisfaction, depuis les îles voisines de voir le volcan en entier.

Sao Jorge, posée sur l’eau comme un long paquebot, encerclée par les falaises, surmontée par une chaîne de volcans.

Terceira et la très belle ville d’Angra do Heroismo

Il n’y a qu’à Sao Miguel, la plus grande et celle réputée dans les guides comme la plus belle que nous resterons moins longtemps que prévu. Son charme s’est à notre goût trop élimé à se frotter à la promotion touristique.

Santa Maria plus au sud nous offre une merveilleuse dernière escale aux Açores.

L’archipel des Açores n’est pas qu’une succession d’escales, c’est aussi le grand carrefour de l’Atlantique nord. Quelques plaisanciers d’Europe ou de méditerranée viennent y passer l’été, tous les bateaux revenants des Caraïbes et d’Amérique du nord s’y arrêtent. Nous y retrouvons de nombreux équipages croisés durant cette année qui finissent la boucle de l’atlantique, c’est un lieu de retrouvailles et d’adieux. Chaque retour vers le continent se fête dignement autour des barbecues, les largages d’amarres sont chargés d’émotions car pour beaucoup, c’est la fin d’une histoire, d’un défi, d’un rêve devenant souvenir.

Chacun reprendra une route vers de nouveaux projets. Beaucoup rentrent pour poursuivre ou reprendre une vie professionnelle, souvent motivés pour préparer un nouveau voyage. Quelques- uns sont happés et restent ici pour tenter une nouvelle vie, pourquoi pas s’y installer car il y a ceux qui ont fait le pas, il y a déjà quelques années et racontent. Ceux-là perpétuent l’histoire de l’immigration aux Açores. Et il y a les bienheureux comme nous, plus rares, qui continuons la route toujours plus au sud…

Transat vers les Açores

Allons-nous être happés par le triangle des Bermudes ? La question nous amuse et nous faisons très attention à ne pas nous faire piéger par les nombreux récifs qui entourent le curieux amas d’îlots qui forme Les Bermudes. Se faire bloquer ici serait très ennuyeux, non  que le cadre ne soit pas agréable mais la vie y est si chère que nous nous y sentons pauvres comme jamais. L’escale sera donc de courte durée et nous voilà en mer vers les Açores. Nous n’en avons pas encore conscience mais ce départ a quelque chose de différent de nos précédentes navigations. Rien ne nous semble étrange, nous partons pour plusieurs jours de mer comme nous avons maintenant l’habitude. Avitaillement et plein d’eau sont fait, gréement et accastillage sont vérifiés, météo et route sont soigneusement étudiées.

Pourtant, insinueusement, un détail grandi pour devenir l’évidence de cette route : nous sommes en Transat. Quelle différence cela peut-il faire, nous direz-vous, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Mais non, la réalité s’affirme, mille petits détails nous le montrent. La température de l’air et son humidité changent, nous ne verrons plus de pélicans et les puffins seront de plus en plus nombreux, le ciel et ses nuages feront changer la couleur de la mer. Il nous aura fallu quelques jours pour que toutes nos observations et nos ressentis convergent et nous poussent à admettre de l’importance de cette navigation, nous changeons de continent et  ce n’est pas anodin.

 Il en était de même pour la transat aller, de l’Europe vers les Antilles mais nous y étions plus préparés, notre imaginaire étant chargé depuis l’enfance de tous les mythes de ce trajet vers l’exotisme et l’inconnu. Le frisson qui parcourt le voyageur navigateur larguant les amarres pour sa première transat puis s’efface dans le soulagement et la fierté de l’arrivée de l’autre côté, n’est pas de même nature que celui du marin qui entreprend le chemin de retour vers l’Europe. Nous ne sommes plus des novices,  la route des Alizés n’avait que très peu d’aléas et d’embuches, celle du retour en atlantique nord entre dépression et anticyclone sera moins « plan-plan ».

Je reprends notre carnet de bord, mémoire codée de nos navigations.

Départ le lundi 3 juin du port de St Georges, vent 17 à 18 kts sur tribord de 100 à 115 °, vitesse fond 7.5 à 8.2 kts. 1 kt (knot ou nœud en français)= 1 mile/ heure soit 1,832km/h, c’est l’unité utilisée pour la vitesse du vent ou du bateau.  Des chiffres, des symboles, des abréviations, des positions abscons, des heures UTC, deux courbes, celle de la pression atmosphérique et celle de la force du vent, quelques mots pour l’éphéméride ou le niveau de charge des batteries. Quel manque de romantisme ! Cette partie visible, précise et concise recèle  en réalité nos émotions et des images que nous n’oublierons jamais. Je nous revois sortant du chenal entre les récifs, hissant les voiles et nous régalant de cette bonne brise qui nous accompagne. Le bateau glisse, passe avec souplesse et puissance dans le court clapot. La température est douce et l’air juste frais comme il faut pour bien le sentir. Nous sommes vent de travers, la gite est constante et le confort reste à inventer.

Mardi 4 juin, une note très court : « 15h, rattrapés par le front froid », quelques mots qui décrivent toute cette journée. Le ciel clair du matin qui se voile de quelques nuages d’altitude, puis qui se couvre et s’assombrit et nous chahute en la nuit avec grains et orages. En fin d’après-midi nous faisons le point sur la distance parcourue (192 Nm) et notre distance virtuel de rapprochement en ligne droite vers point d’arrivée (132Nm), deux chiffres qui en disent long sur notre route, nous ne naviguons pas en route directe, c’est un choix. Le jeu consiste à imaginer quelle sera la meilleure trace, qui n’est ni la plus droite, ni la plus sportive mais celle qui nous rapprochera le mieux et à moindre effort pour nous et le bateau.

Avez vous remarqué cette position exceptionnelle ?

Pour la première fois nous naviguons de conserve avec un bateau ami. Partis ensemble des Bermudes nous nous retrouverons aux Açores, nous échangeons tous les jours un message avec nos positions respectives et quelques commentaires. Cette vacation est un plaisir, nous l’attendons quotidiennement avec impatience et un brin de compétition se met en place. L’équipage de Carmina n’a pas la moitié de notre âge, Gillian et Marco ont la rage de nous dépasser et nous ne pouvons accepter que la Grande Lulu ne soit pas devant.

Nous ne tomberons pas dans l’excès de prise de risque et l’affaire se terminera en bon marin.

Les jours ne se ressemblent pas, la météo se charge de faire varier les plaisirs. Jeudi 5 juin, 11h de moteur, ce que nous redoutons le plus. Heureusement la situation ne se reproduira qu’une seule fois, nous y veillerons en choisissant une route adéquate.

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Contrairement au régime des alizés, tellement stable que nous avions pu créer une petite vie régulière, cette transat retour ne nous laisse pas le loisir de nous installer ou de vaquer à des occupations autres que celle de la navigation. Sans que cela nous gâche la vie le plaisir d’activités extra-maritimes nous manque.

Les jours passent vite, nous alternons les quarts, la lune nous accompagne un peu plus chaque nuit. C’est la nuit que les longues contemplations de la mer me sont les plus agréables. Je ne me lasse pas de la beauté changeante des éléments et me laisse aller à un état de calme et de rêveries sur lequel le temps n’a plus d’emprise.

Samedi 6 juin. « vu une queue de baleine ». Un petit évènement peut nous occuper un bon moment.

Mardi 9 juin. 19h, 24 Kts de vent, la trinquette se déchire. En fait c’est une laize qui s’est décousue,  c’est moins grave mais cela nous porte un léger coup au moral. Nous devons être fatigués. Nous restons en voilure très réduite jusqu’à minuit pour nous reposer. La vitesse du bateau est très faible (4 Kts), les mouvements bien atténués, ce repos nous fait du bien.

Extrait du jeudi 11 juin : « De 15h à minuit, mer forte, houle de travers, le pilote fait seul le travail de barre, 70° du vent, 2 ris et genois roulé comme un grand tourmentin, on peut tenir facilement jusqu’à 30 Kts de vent. 23h30 le vent commence à adonner et à baisser, 26-25-21 kts. Pression en baisse 1018 on approche du centre de la dépression, minimum attendu 1015 ». A vous d’imaginer cette journée, laissez vous glisser sur les vagues, écoutez la mer pétiller sur la coque, sentez le vent sur votre visage, voyez la lune se refléter sur les crêtes, émerveillez vous de la fluorescence de l’eau, attendez la visite des dauphins. Rêvez, vivez …

Vendredi, Florés l’île la plus occidentale des Açores est à moins de 200 Nm (environ 370 km) le vent est tombé, la mer est chaotique, nous sommes chahutés, c’est une de nos pires journées de mer et nous sommes chagrinés à l’idée de terminer sur une impression mitigée d’autant qu’une vague a renversé la pâte à crêpes. Nous avons dû être entendus ! Le vent revient, la mer s’organise en une longue houle, les dernières 24 heures vont être superbes. Samedi 5h30 le phare de Vila dos Lajes est identifié. Flores nous apparait au petit matin, nous n’en voyons qu’une toute petite pointe, le reste de l’île est caché par un immense amas de nuages, la lumière du soleil levant est magnifique.

Samedi 15 juin 8h30, nous sommes dans le port de Flores. Carmina arrivera 30 heures après nous en méditant la réflexion d’Isabelle Autissier : «  une belle manœuvre peut faire gagner 8 minutes, un mauvais choix météo peut faire perdre 2 jours ».

La vie à terre reprend rapidement, à Florés comme dans tous les ports, il y a le café où les marins se retrouvent pour «  refaire » la transat en éclusant la bière locale.

De la Havane aux Bermudes

La Havane est une vieille dame

L’herbe pousse entre les pierres, les îlots de salpêtre soulèvent petit à petit la peinture qui s’écaille et s’envole,  les fissures dessinent des éclairs d’une fenêtre à l’autre,  les balcons se retiennent avec l’énergie du désespoir aux façades, la rouille brode des dentelles aux balustrades, une araignée fantaisiste tisse son fil électrique  d’une demeure à l’autre, tout ce qui peut protéger de la pluie s’inclut dans le grand patchwork des toitures et parfois, n’en pouvant plus, la maison s’écroule et ses gravats envahissent le trottoir.

Ses quartiers sont animés,  sur les trottoirs les rocking-chairs  balancent les papys, les femmes assises sur les marches papotent, les hommes jouent aux dominos, deux paires de tong pour les buts, une canette vide  pour le ballon et les garçons disputent un match décisif tandis que les filles font tourner les robes au rythme de la musique  qui sort des fenêtres ouvertes.

La Havane est une vieille dame mais tellement belle !

La moitié de la manne touristique s’emploie à restaurer les bâtiments et le cœur de la vieille ville a refait peau neuve mais il en reste tellement que le défi  de tout rénover avant que cela ne s’écroule semble difficile à tenir.

Et pourtant, il se dit que La Havane  serait la plus belle ville d’Amérique et nous sommes prêts à le croire.

Nous avons quitté Cuba, cette île exubérante, si singulière qui déclenche tant de passion  et navigué vers les très sages Bermudes. Changement d’ambiance, de décor, de niveau de vie. Les Bermudes, c’est comme un grand lotissement paysager de luxe. Les cottages sont séparés par de beaux jardins bien entretenus,  pas de clôtures, l’ensemble est harmonieux et nous sommes sous le charme. Les hommes portent dignement le bermuda, tout cela est tellement « british ». Pour l’ambiance, c’est exactement le contraire de La Havane, pas une écaille au mur et pas un chat dans les rues après 19 heures.

Après avoir été riches parmi les pauvres, nous voici pauvres parmi les riches. 10,5 dollars la pression, on passe vite fait à l’eau, nous ne nous attardons pas et poursuivons notre route vers les Açores

1er mai à Cuba

5H30 du matin, le muezzin syndiqué réveille toute la ville d’Holguin de ses discours sur fond de fanfare, nous sommes le 1er mai, que la fête du travail commence !
Sont-ils nombreux à s’être levés pour défiler si tôt ? Nous ne le savons pas, nous intégrons le flot des harangues dans un demi sommeil habitués que nous sommes à inviter les bruits de la mer dans nos rêves . Vers 9 heures, fini la parlotte, les choses sérieuses peuvent commencer. A croire que c’est exprès qu’ ils se débarrassent tôt des impondérables de la cérémonie pour profiter plus longtemps des festivités, car cela va durer toute la journée et toute la nuit.

Toute la population se réunit autour du stade de base ball, un espace est réservé aux enfants, tour de manège gratuit, prêt de tricycle, piscine de balles plus loin les associations de travailleur de ceci ou de cela, et il y en a un s’acré nombre, tiennent des stands où l’on peut manger ou boire , c’est un peu la fête de l’huma, la salsa en plus.

Mais le spot qui a le plus de succès après les toilettes est celui de l’état. Car le travailleur fait la fête et c’est l’état qui rince. Pas de feux d’artifice mais aujourd’hui, exceptionnellement, le litre de bière à la pression est à 5 pesos, soit 20 centimes d’euros. Les plus prévoyants sont venus avec de grandes thermos, pour les autres, quelques petits malins ont fait des réserves de bouteilles plastiques vides qu’ils vendent, nous sommes au pays de la débrouille.

Holguin est la ville où les 4 bières nationales sont brassées mais elle coule à flot dans tout le pays ce jour. C’est un produit assez cher, plus cher que le rhum, dans le village le plus reculé que l’on ait fait, coyo mambi, la canette était à un euro, le jus de mangue frais à 8 centimes alors qu’il est vendu 1 euro ailleurs. C’est très difficile de connaitre le vrai prix pour un étranger, la même assiette varie de 3 à 20 euros sans que ce soit liés aux « signes extérieurs de richesses » Toujours demander à voir la carte avant de s’attabler

Mais retournons faire la fête. Deux grandes scènes diffusent de la musique cubaine nouvelle génération car là , on est loin de buena vista social club, c’est plutôt Dj et sound system mais toujours au rythme de la salsa. C’est le début d’après midi, il fait plus de 30° mais rien n’arrête les danseurs. Nous nous régalons à les regarder, le rythme, les pas, le maintien sont différents mais les passes sont semblables au balboa, nous ne sommes pas perdus. La danse, la musique sont clairement à Cuba un lien fort entre les générations, l’ambiance est joyeuse, le contact facile.

Retour à la casa où nous sommes venus nous reposer sur les rocking chair, pas d’habitation sans eux. La casa d’Enrique est cossue et copieusement décorée, il n’y a qu’à Cuba que l’on peut voir le Che veiller sur la céne

CUBA

« Los Frances del Barco », voilà comment nous sommes interpellés dans les rues de Baracao. Incroyable ! Seulement 2 jours que nous avons jeté l’ancre et nous sommes repérés comme étant les français en bateau. Il faut dire que des français il n’y en peu et des bateaux encore moins. Baracao est à la pointe Est de Cuba, logiquement tous les voiliers devraient s’y arrêter puisque les alizés et les courants nous font arriver par ce côté de l’île. Mais notre logique n’est pas forcément logique pour les autorités cubaines et ils ont décidé que Baracoa ne serait pas un port d’entrée dans le pays et que les formalités obligatoires se feraient 150 Nm (presque 300 km) plus loin. Peu d’équipages font l’effort de revenir sur leurs pas, contre vents et courants, pour franchir la passe de la baie de Baracoa et s’ancrer au pied de la ville.

Pressentant que le jeu en valait la chandelle nous avons fait cette route inverse depuis Santiago de Cuba et ne l’avons pas regretté. Baracoa est pour l’instant notre visite préférée à Cuba. Nous nous y sommes immédiatement sentis bien. Après Santiago de Cuba, attirante mais polluée à l’excès, Baracoa est une douceur. Nous avons d’autant plus facilement trouvé nos marques que l’on nous a laissé nous installer et circuler sans restriction.
Les pêcheurs nous ont rapidement identifiés, nous sommes leurs hôtes, n’avons aucune crainte pour le bateau et notre annexe a sa place au dock à côté de la barque des garde-côtes.

Notre plaisir aux escales est de se laisser imprégner de l’ambiance, goûter à l’art de vivre, tenter de comprendre ce qui anime les gens. A Cuba, notre curiosité est aiguisée par cette fameuse révolution, si fascinante vue de l’occident, celle qui fît couler tant d’encre, objet de tant de débats, de querelles politiques, de poèmes, chansons…Comment vit-on dans une société socialiste ? La question a d’autant plus de sens à Cuba que l’isolement de l’île créé par l’embargo imposé par les américains depuis 1961 a agit comme une digue empêchant la mondialisation de tout emporter.
Loin d’une vision folklorique alimentée par nos fantasmes d’occidentaux libéraux, Cuba me fait penser à un dessin de Bilal où passé et futur se mélangent. L’architecture, les infrastructures, les véhicules, tous les objets de la civilisation de consommation sont restés bloqués à ce qui existaient dans les années 50, 60 et nous renvoient des sensations confuses de nostalgie et de manque. Faut-il tomber dans la compassion pour ce peuple qui n’a pas accès à notre excès d’abondance matérielle ?
Après plus de 10 ans de période « spéciale » où les étals restaient désespérément vides, l’embargo s’est allégé, Raul Castro a autorisé l’ouverture de petits commerces et Obama a desserré l’étau ; les cubains vous expliquent que maintenant on trouve de tout quand nous pourrions penser qu’ils manquent de tout.
Plutôt que de tergiverser ne vaudrait-il pas mieux observer et discuter avec eux au risque de percevoir ce qui pourrait être les bases d’un futur idéal ? Car éducation pour tous, soins et santé servis par une des meilleures médecines du monde et accessible à tous, culture riche et populaire, fierté de travailler mais aussi loisirs, sens de la collectivité et gentillesse font réellement partie du quotidien. N’est ce pas là ce que nous pouvons espérer de mieux pour nos enfants alors qu’ils perdent espoir dans la société que nous leurs léguons ?
N’allez pas croire que je me sois fait refiler la carte du parti au coin de la rue. Je ne suis pas prêt de l’accepter. Les anomalies, les disfonctionnements, les manques, les absurdités du systèmes sont tout aussi visibles. Malgré tout, à l’image des forêts primaires dont on préserve la diversité pour y puiser demain les graines de futurs médicaments, Cubalinda mériterait d’être protégée de tous nos excès pour y trouver des idées de pansement ou de renouveau pour nos civilisations en fin de cycle.

Et donc c’est avec une certaine fierté que nous nous sentons intégrés pour quelques jours en tant que « los frances del barco » à la vie de la petite ville de Baracoa. Nous voilà invités à danser à la Casa de la Trova, conseillés pour un bon repas, guidés dans le parc national, acceptés comme meneur de jeux sur la plage quand Annie se lance à faire des bulles de savon dans le vent. Notre place est éphémère comme celles de tous les voyageurs mais les cubains de Baracoa nous l’ont accordée avec générosité pendant nos quelques jours d’escales.

Cap sur Puerto da Vita, au nord mais nous y allons par le chemin des écoliers, explorant quelques baies sur la route. Le gouvernement cubain a très peur que l’on exporte un cubain au fond de la cale et pour s’en protéger, il y a mis en place une longue liste d’obligations et d’interdictions pour les voiliers, mais l’interprétation varie d’un garde-côte à l’autre. Profitant de la confusion, nous sommes entrés dans des baies plus ou moins autorisées, seul au mouillage, dans la petite anse toute ronde de Taco ou dans le dédale d’îlots de celle de Tanamo ressemblant au golfe du Morbihan.

Quel comité d’accueil quand nous mouillons dans un recoin de la lagune à Cayo Mambi petit village que nous avions repéré sur la carte. Notre arrivée ne passe pas inaperçue, au ponton des pécheurs, un petit groupe se forme déjà pour nous observer. Descente en annexe, à la rame, tranquillement. Les regards nous suivent, visages fermés, pas un mot. Petite inquiétude de notre part, sommes nous inopportuns ? Mais non, ce n’est que de la gène, juste la question de savoir comment être vis-à-vis de nous et comment nous même allons nous comporter. Quelques mots, bonjour nous sommes français, je m’appelle Hervé, je m’appelle Annie et voilà le naturel qui revient. Et le naturel c’est l’accueil, la gentillesse, le contact facile. Tout s’active, nous sommes pris en charge avec attention. En moins de temps qu’il nous aurait fallu pour exprimer une demande un pêcheur s’engage à surveiller le bateau, l’autre l’annexe et encore quatre qui nous emmènent en ville pour que nous puissions faire quelques courses. Plus tard nous demanderons s’il y a souvent des voiliers qui arrivent jusqu’ici, la réponse est simple « jamais ».
Aucun de nos nouveaux compagnons ne nous a demandé la moindre chose. Chacun a souhaité apporter un petit geste pour nous accueillir. Sans même que la question d’accepter ou de refuser ait un sens, nous nous retrouvons dans le taxi-charrette-à-cheval en direction du centre ville. Nos places sont payées par un de nos accompagnateurs, les conseils fusent, où faire quelques achats, comment prendre le taxi pour le retour, où aller, comment les retrouver si nous avons un problème, etc. C’est le milieu de la journée, chacun repart pour son travail et nous nous quittons sur de chaleureuses poignées de main.

Nous profitons de notre liberté pour nous promener le nez en l’air, relax, nous disant qu’une rencontre en amène souvent une autre. Effectivement une nouvelle rencontre se présente à nous, mais cette fois c’est la police. Nous avons un peu forcé sur notre naïveté et notre innocence et sommes un plein déni de la loi. Le vagabondage côtier est strictement interdit, nous ne devons naviguer et encore moins descendre à terre en dehors des ports autorisés et sous la surveillance des garde-côtes. Le pays de l’anti-impérialisme n’est pas toujours celui de la liberté de circulation. Quoi qu’il en soit nous voilà au commissariat, sans nos passeports, entourés d’une demi-douzaine d’hommes en uniforme qui ne savent pas trop bien quoi faire de nous. Reflexe militaire : devant une situation inconnue on appelle les supérieurs. Nous tendons l’oreille pour capter un peu de la conversation téléphonique et nous comprenons que La Grande Lulu est connue, repérée, pour ne pas dire surveillée. La solution à cette situation embarrassante pour tous est vite trouvée : pour « notre sécurité » nous sommes ramenés à notre bateau et « autorisés » à quitter sur le champs les lieux. Cet incident n’aura pas d’autre conséquence qu’une leçon de morale au prochain port que nous attenions deux jours plus tard, ce qui confirme avec enthousiasme que les communications fonctionnent bien à Cuba.

Régates aux Îles Vierges


Petit saut par petit saut nous voici au nord des petites Antilles, aux îles vierges dans la partie britannique. Imaginez, amis marins, une cinquantaine d’îles et îlots entre Groix et Hoëdic le beau bassin pour régater ! Les formes sont douces et arrondies, collines arides s’élevant de quelques centaines de mètres, posées sur l’eau comme un troupeau de tortues géantes qui se reposerait sur les eaux limpides. De petites plages au sable blanc se nichent au fond des baies, choisir le mouillage « paradisiaque » du soir est le grand problème de la journée.


Prenez le vent des alizés toujours constant entre sud-est et nord-est, ajoutez une petite rafale de vent catabatique qui descend des reliefs pour jouer le rock’roll dans la voile, mettez-y une bonne accélération d’effet de pointe au passage entre les îles, n’oubliez pas de penser aux courants, semez quelques cailloux et hauts fonds à éviter et voilà : le plateau de jeu est prêt pour la bagarre.


Dès l’ancre relevée, le capitaine de « La Grande Lulu » scrute le terrain à la recherche d’un lièvre à sa hauteur, les critères sont strictes : un vrai bateau de vrai marin, en deux mots, un monocoque à la voilure bien choisie. Ici, il y a beaucoup de vacanciers sur des bateaux de location qui utilisent surtout le moteur. Quand devant nous, navigue une belle coque effilée aux voiles bien réglées, Hervé commence à s’exciter, voici la bête à rattraper, saluer et surtout dépasser. A la barre, un œil sur le concurrent l’autre sur les voiles il donne les consignes. Choquer, border, choquer, border, choquer border… l’écoute de génois à bâbord, l’écoute de la grand-voile à tribord, j’exécute les ordres et passe d’un winch à l’autre pour garder le meilleur réglage malgré les variations, on fignole en jouant sur la bordure et le halebas. Souvent notre « victime » s’en moque et nous regarde la dépasser en nous saluant comme tout bon marin respectant la tradition mais parfois, on tombe sur un teigneux pis qu’Hervé et nous voilà lancés. L’excitation monte d’un cran de part et d’autre, la cadence des consignes itou.


Ne rien lâcher, profiter des moindres effets de côte. C’est dans les transitions du vent que l’on gagne ou que l’on perd. Molle devant, ça va refuser, un peu de barre sous le vent, on anticipe sur le réglage du génois. Le vent revient, on en profite pour remonter en escalier et augmenter notre décalage latéral. Ça monte encore en ondulant, on barre à pression constante peu importe les variations de cap c’est la vitesse qui prime. Un peu moins de vrillage sur la chute de GV et la vitesse augmente encore. Cap identique, vitesse supérieure, c’est bon on va les avoir !


Notre plus belle prise est un oyster de 66 pieds battant pavillon anglais pour vous dire comme nous étions motivés, rude fut la bataille mais grande la jubilation !


Aux îles vierges, on peut même se vanter d’avoir passé le Drake* en manche de chemise.

The baths


Une fois les voiles pliées, que faire aux îles vierges ? Plonger le nez masqué dans l’aquarium, aller se promener à « the baths », c’est juste splendide et puis… se poser sur la plage et bénir l’exceptionnelle loi du littoral française qui nous protège de toutes les aberrations de constructions vues ici.


Cap à l’ouest pour Cuba, nous quittons cette ambiance un peu superficielle où tout est fait pour le vacancier et comment lui faire approcher le paradis en le délestant de ses biens matériaux, en l’occurrence, ses dollars.

  • le passage du Drake le plus connu des marins est celui qui sépare le cap Horn de l’Antarctique mais c’est aussi le passage principal au centre des îles vierges. Hurlant ou rugissant, mieux vaut être bien couvert.
À la Une

De Montserrat aux Iles Vierges

Nous naviguons vent arrière, direction Nord-Nord-Est. La Guadeloupe que nous venons de quitter s’éloigne rapidement. A ce moment nous ne savons pas encore que nous allons vers des changements surprenants.

Partant de la belle baie Deshaies au Nord de la Guadeloupe, nous avons à choisir entre deux choix de route. Depuis Tobago les iles se suivaient formant un arc de cercle régulier, nous suivions cette courbe et le seul choix était de s’arrêter ou pas dans chaque ile. Mais maintenant l’archipel s’élargit avec les grandes iles touristiques (Antigua, St-Barth, St-Martin, Anguilla) au vent, c’est-à-dire vers l’Est, et un chapelet de petites iles (Montserrat, Nevis et St-Kitts, Satia, Saba) plus sous le vent, soit plus à l’Ouest. Voilà deux routes qui se dessinent, s’éloignent puis se rejoignent aux Iles Vierges Britanniques et Américaines, dernières iles des petites Antilles. Sans trop hésiter nous choisissons la route sous le vent vers ces petites iles dont nous ne connaissons rien.

Sitôt partis, nous ressentons qu’il se passe quelque chose. Il n’y a plus de bateaux autour de nous, nous naviguons seuls ce qui est rare en ces régions. Nous progressons vers Montserrat, cette ile a la particularité d’avoir un volcan actif, la dernière éruption date de 1995, un grande partie  a été ensevelie et la plus grande ville, la capitale, complétement détruite. L’activité volcanique est sous surveillance,  les accès  sont conditionnés aux humeurs du cratère. Quand la silhouette de Montserrat se précise et que nous commençons à distinguer les détails de la côte nous comprenons que nous avons basculé dans un autre monde. Fini les pentes verdoyantes et les plages de sable blanc. Fini les petits villages accueillants. Fini la douceur bisounours des Antilles touristiques. La côte sud  par laquelle nous arrivons est  brulée, arasée, laminée par des coulées de lave incroyables qui  du cratère jusqu’à la mer ont tout emporté. Le cône fume toujours, un lourd nuage en descend et répand une forte odeur de soufre. Il nous est interdit d’approcher la côte à moins de 2 Nm (un peu moins de 4 km), nous trichons un peu pour mieux percevoir les détails de ce paysage minéral. En passant devant l’ancienne capitale nous distinguons clairement les ruines des maisons abandonnées et essayons d’imaginer sous une grande coulée de lave ce qui devait être le centre-ville. Un peu de végétation est réapparue dans ce qui a été le cœur de l’ile.

Nous continuons à longer la côte et sortons de la zone sensible du volcan. Assez rapidement nous voyons de nouvelles constructions, grandes et colorées, joyeuses et optimistes qui contrastent avec la désolation du sud de l’île. Dispersées à flanc de colline ces maison ne forment ni hameau ni  ville. C’est une curieuse psychologie de reconstruction qui nous laisse interrogatifs. Nous mouillons devant un nouveau port qui n’est qu’une zone de débarquement un peu aménagée pour des barges et des bateaux de liaison. Notre projet initial était de partir randonner jusqu’au volcan, attirés par sa respiration mais il n’est pas accessible tous les jours et nous n’avons pas envie de nous faire emmener dans une promenade voyeuriste de la ville détruite.

Nous décidons donc de ne pas descendre à terre, de passer la nuit au mouillage et de repartir le lendemain matin. Nous sommes des étrangers de passage, fallait-il que nous allions nous présenter à l’immigration et aux douanes comme nous le faisons à chaque fois que nous nous arrêtons ?  Nous n’en savons rien, la compréhension et l’interprétation des règles administratives n’est pas notre point fort. Personne ne nous a rien demandé, ni papier, ni taxe et nous sommes repartis tranquillement le lendemain matin, direction Nevis.

Nevis & St-Kitts, elles forment à elles deux un minuscule état indépendant. Un peu secoués par ce que nous avions aperçu de Montserrat nous nous demandons ce que nous allons trouver dans ce petit pays qui passe sous les radars du tourisme. Nevis est un joli petit volcan comme celui que l’on imagine dans nos dessins d’enfants, un cône , haut de 900 mètres retombant en pente douce vers les plages.

Nevis est calme, vraiment calme. Les gens marchent lentement, les voitures roulent doucement et s’arrêtent vingt mètres avant vous pour vous laisser traverser. On nous parle à voix basse, sans intonation. Visuellement nous ne sommes plus dans les mêmes Antilles. L’architecture est très différente, les bâtiments sont construits avec des rez-de-chaussée en pierres taillées grises, assemblées avec des angles nets et raides. Il s’en dégage une austérité toute protestante qui est contrebalancée par les étages qui eux sont en bois peints de couleurs vives. L’ensemble est agréable, équilibré.

Comme c’est la période du salon national de l’agriculture, nous y allons, c’est en plein air et ça tient sur la surface d’un terrain de foot. L’ile est visiblement aride, peu propice à la culture et à l’élevage, nous faisons les curieux. Les préoccupations sont dans l’air du temps, produisons et mangeons bio et local, gérons les ressources d’eau, ménageons la terre et la biodiversité. Ultra tendance correcte. Nous ne sommes restés que deux jours à Nevis, nous n’avons pas tout vu, nous n’avons pas vu d’activité agricole significative, ni d’activité industrielle, ni d’activité tout court. Par contre il y a beaucoup de banques… Notre petit niveau ne nous permet pas de comprendre l’intelligence et les rouages fins du fonctionnement d’un pays mais le doute est sournois.

Le temps d’envoyer la grand-voile il faut déjà préparer l’arrivée sur St-Kitts au port de Basseterre, grande ville du pays dont le nom rappelle que les français sont passés par là.

Ramollis par le rythme anémique de Nevis nous déambulons le nez en l’air dans la ville et traversons une rue avec le sourire de celui qui sait que les automobilistes lui répondront d’un geste aimable et courtois l’invitant à prendre son temps pour passer de l’autre côté. Mal nous en a pris ! Ils ont mis des feux aux passages piétons et il est d’une inconvenance absolue de ne pas les respecter. On s’est pris une soufflante qui nous a réveillés. Voitures qui ne ralentissent pas, klaxons agressifs, piétons qui qui nous font la morale, quel accueil !

Nous revenons vers le port et là nous comprenons que ça y est, nous sommes chez les nouveaux pirates. Les vrais, ceux des Antilles. Ce n’est pas une légende, ils existent. Ils tendent des pièges pour attirer les bateaux et les détrousser. Ils se cachent dans les recoins des iles les plus reculées. On y est.

Un décor de ville a été construit en bout des appontements pour paquebots. L’architecture flirte entre vrais faux docks restaurés et maison caribéennes.  Un grand boulevard, des rues perpendiculaires, une place centrale, le tout rempli de guet-apens en forme de boutiques de luxe. Les armes sont prêtes, aucun dollar ne doit réchapper. Et comment attirer les grands bateaux de croisière dans ce piège ? Simplement en promettant le luxe ostentatoire au prix des économies d’un middle class. Surenchère d’offres extraordinaires, des diamants aussi gros que certifiés, du chocolat mieux que mieux à 14 $ la tablette, des copies de tout, vêtements, maroquinerie, joaillerie. Si à 50 ans tu n’as pas ta Rolex c’est que tu n’es pas venu à S-Kitts. Les pirates sont organisés, ici c’est le clan des hindous, ils tiennent l’ensemble de ce quartier-piège. Tu ne peux pas leur échapper, tu crois entrer flâner dans une boutique de fringues, tu ressors par la bijouterie après avoir traversé l’épicerie fine mais c’est toujours le même tiroir-caisse.

Le plan doit être bon puisqu’on construit un deuxième dock d’appontement. La capacité de piège, pardon d’accueil, va être portée à  4 paquebots. A quelques milliers de gogos par bateau ça fait un beau butin en prévision.

Il y a des jours sans, sans aucun paquebot. La ville piège devient alors ville fantôme. Rideaux baissés, pas un chat dans les rues, aucune vie. Il n’y a pas d’ambiguïté sur  la raison d’être de ce lieu. Les nouveaux pirates sont moins sanguinaires que ceux de nos histoires mais fonctionnent sur les mêmes codes, ils profitent de l’avidité des sociétés riches, des touristes chargés de dollars.

Les deux prochaines îles devant nous sont Statia et Saba. Toutes deux sont Néerlandaises. Ce sont des colonies autonomes et des ports francs.

L’arrivée sur Statia est très agréable. Nous retrouvons un peu de verdure sur les pentes du volcan. Nous nous arrêtons à Oranjestad, seul village de l’île. L’influence hollandaise est évidente, maisons en pierres et en bois colorées, rues pavées, églises anglicanes et synagogue. Le village est en hauteur, la balade y est agréable, plus bas en bord de mer il y a juste ce qu’il faut d’animation.

Pas d’activité mais un esprit bobo-écolo, une vie saine dans un pays durable.

Mais que ce passe-t-il un peu plus au nord ? Nous ne pouvons ignorer ces pétroliers qui attendent on ne sait quoi. Naviguant le long de la côte nous découvrons, à peine camouflé par un petit promontoire, un immense complexe de stockage d’hydrocarbure. Voilà qui dénote avec la belle ambiance de la ville.

Que font là ces milliers de tonnes de pétroles ? Réserves stratégiques ? Répartition avant envoi vers les pays consommateurs ? Trésor de pirate d’un nouveau genre ?

Quoi qu’il en soit Statia et juste après Saba nous régalent de leurs silhouettes dès que nous sommes en mer.  Il y a une grâce dans leurs lignes douces, dans l’équilibre de leurs formes.

Nous sommes sur la route des surprises et Saba ne va pas être en reste car depuis La Guadeloupe, quelques heures de navigation suffisent pour passer d’un univers à l’autre. L’île est minuscule, presque ronde. Juste le haut d’un volcan qui émerge et culmine à 600 m d’altitude. La côte est des plus arides, Les deux villages se sont installés en hauteur faute de place près de la mer. C’est la seule île que nous ayons vue avec cette disposition. Partout ailleurs les villes et villages sont au ras de l’eau et les hauteurs restent désertes.

Il n’y a pas de côte accessible, seulement des falaises. Il est impossible d’entrer dans le  minuscule port situé au sud où nous sommes censés faire les formalités d’entrées. Impossible également de mouiller, il y a trop de fond. Quelques bouées sont à disposition mais ceux qui ont décidé de l’endroit où les mettre n’ont jamais du naviguer en voilier. En plein vent et pleine houle il ne sera pas simple de s’y amarrer et encore moins simple de réussir à rejoindre la cale de débarquement avec notre petite annexe.

Il y a un mouillage plus abrité à l’ouest de l’île, nous l’avons repéré sur les cartes. Plus à l’abri du vent et surtout de la houle, il est possible d’y rester. Le cadre est beau et sauvage mais comment faire pour descendre à terre ? Il n’y a pas de grève, juste quelques mètres de rochers et de galets qui roulent à chaque vague. Et en supposant que nous arrivions à débarquer comment faire pour sécuriser l’annexe et escalader la falaise pour rejoindre le village. Il y a bien un ancien escalier, 800 marches taillées dans la roche au XVII siècle. A l’époque, l’inaccessibilité était la meilleure des protections.

Jugeant l’opération de débarquement trop risquée nous décidons de rester à bord. Nous passerons la journée au mouillage et partirons en fin d’après-midi pour les Iles Vierges où nous voulons arriver de jour.

Saba restera pour nous l’ile inaccessible, l’ile mystérieuse.

Martinique, Dominique, Guadeloupe

La Martinique, La Dominique, La Guadeloupe, trois îles  qui font rêver, on y trouve des petits bouts de paradis, les belles plages, les forêts vierges, les grandes cascades d’eaux limpides, la langue chantée des créoles.

Malgré une urbanisation assez forte, La Martinique nous régale de petites perles, à Anse d’Arlet une simple bière servie sur une table en plastique se transforme en apéro romantique, nous sommes sur la plage, les pieds dans le sable, le couché de soleil devant nous. A Saint Pierre une fanfare locale se prépare pour le carnaval et répète dans la rue. Du Prêcheur à Grand Rivière une belle randonnée nous offre un beau bouquet de montagne, de forêt et de bord de mer.

La Guadeloupe, ou plutôt les îles de La Guadeloupe, nous renvoient à nos rêves des Antilles. Les Saintes, Marie Galante, La Désirade, Basse Terre et Grande Terre nous promènent des histoires de pirates à la chanson de Voulzy. Les îles sont si proches les unes des autres que l’on est surpris de leurs diversités. De la sécheresse des Saintes nous passons en un saut de puce (de mer) à la forêt humide de Basse Terre. De la fébrilité de Pointe à Pitre nous nous sauvons vers le calme et le charme suranné de Marie Galante. Les mouillages sont nombreux, la navigation vive : un rêve de plaisancier.

On pourrait voyager dans une légère insouciance, profiter du soleil, de la mer et du ti punch mais voilà, on ne peut pas toujours rester aveugle surtout quand ça saute aux yeux.

Toutes ces îles  ont été touchées par le cyclone Maria en septembre 2017 qui a fait sur toutes les caraïbes quelques centaines de morts, et des milliers de maisons dévastées, d’arbres arrachés, de chemins ravinés.

A La Dominique les stigmates sont encore très présents 18 mois plus tard, l’état peine à restaurer les bâtiments publics, nombre de maisons restent sans toiture mais bâchées, rafistolées, sans fenêtres, il y a des robinets dans les rues, l’eau n’arrive pas dans toutes les habitations. L’île, indépendante depuis 1978, vivait essentiellement de l’agriculture et du développement d’un tourisme vert, tout cela a du mal à redémarrer. Les dominicains sont très accueillants et leur île est magnifique, on aimerait bien les aider un peu.

Simon et son équipage sur la « Barbara », (le  karaté n° 1 pour les amateurs de voilier) sont restés pour monter une toiture en tôle, le propriétaire les a copieusement rémunérés en rhum, ils sont rentrés très fatigués.

Guest-house et chemins de rando sillonnent l’île, un bon plan pour les marcheurs. L’accès est souvent payant, une façon comme une autre de participer à l’économie locale, c’est celle que nous avons choisie. Forêts humides et sèches, volcans, lacs comblant les  cratères, cascades et chemins de crêtes surplombant l’ensemble nous ont enchantés.

Les cyclones ont fortement impacté la forêt. Les grands arbres sont tous cassés à mi-hauteur sur de larges couloirs. Pour autant ce n’est pas un paysage de désolation que nous avons trouvé. La canopée étant détruite, le soleil et la pluie parviennent maintenant jusqu’au sol et profitant de cette aubaine une nouvelle végétation colonise les couches basses de la forêt. Plantes, fougères, herbes qui normalement n’ont pas assez d’eau et de lumière pour se développer dans ses forêts sèches, rivalisent de vitalité pour coloniser le sol et les premiers mètres de hauteur.

Quant aux grands arbres, en manque de respiration, ils ont réagis en se recréant un feuillage, vite fait, sans prendre le temps de se refaire des branches, et donc à même le tronc. Cela leur donne un drôle de look, comme une coupe de cheveux branchée mais d’un gout douteux.

L’ensemble forme un paysage improbable, de lumières, d’une multitude de verts parfois  fendue d’un vol de perroquet à la queue rouge,  d’odeurs, de formes, de vies.


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En mer, nous ne pouvons pas rester aveugles non plus à la prolifération des sargasses, ces algues dorées que les courants portent et qui envahissent les côtes Est, au vent des îles. C’est comme les algues vertes bretonnes, elles s’amoncèlent sur les plages et leur concentration dégage des gaz toxiques. Rejets de nitrates et phosphates des cultures intensives brésiliennes (les courants remontent de là et il faut bien trouver un responsable, étranger de préférence), réchauffement climatique seraient les causes du phénomène. En mer, on en voit pas mal disséminées, elles nous gênent pour pêcher. Pourtant, dans «  le vieil homme et la mer » Hemingway écrit qu’elles signalent les crevettes et les daurades mais nous, quand on remonte la ligne, on a…un paquet de sargasses. Un jour en mer, le banc était tellement épais qu’une tortue se reposait dessus. Soyons optimistes, quelques utilisations se développent, en Floride, une couche de sargasse, une couche de sable, une couche de plantation permettent de fixer les dunes. Des bretons l’utilisent dans la fabrication d’un nouveau  « plastique »  et à Marie Galante les agriculteurs les répandent en guise d’engrais, ils vont ré-inventer la bonote noirmoutrine.

Justement, à propos de produit phytosanitaire, ici, en Guadeloupe, on ne parle que du chlordécone.

Quèsaco ? Un pesticide utilisé massivement dans les bananeraies de 1972 jusqu’à son interdiction en 1993 (interdit dès 1979 aux USA, ce n’était pas Monsanto le producteur). Très toxique, le produit s’est répandu partout et persiste. Sols, rivières, bétails, volailles et légumes racines, le cycle connu, tout est contaminé et par répercussion, la totalité de la population. Cancer de la prostate, infertilité, malformation…Notre source est sûre, c’est le coiffeur d’Hervé qui le dit ! Mais les infos sont faciles à trouver si vous ne voulez pas venir jusqu’ici pour une coupe.

Pour ceux qui veulent du rêve en veux-tu en voilà, il y en a encore pour tous. Les plages sous le vent sont propres, pas de détritus, pas de plastique dans l’eau limpide, ni près des récifs. Le long des roches la vie est très active, un masque un tuba et nous voilà dans un nouveau monde coloré et frétillant, petits et gros poissons y fraient. Petit détail, 28°, c’est la température de l’eau…

Hier, nous avons croisé au large de La Guadeloupe notre première baleine qui a sauté et fait de gros splaschs en retombant dans la mer. Cela nous a rendu heureux pour le reste de la journée.

Cabotage dans les Petites Antilles

De Tobago à La Martinique nous nous sommes pris au jeu de la navigation aux Antilles.

Des distances courtes entre les iles, l’embarras du choix pour les mouillages, du vent et du soleil, que manque-t-il ? Des gens sympas, oui partout ! Du rhum, presque trop ! De l’eau translucide, oui cristalline et chaude ! Des baies de pirates, on en trouve !

L’ambiance est lumineuse, joyeuse, colorée, musicale. Nous n’avons pas cherché de profondeur en second plan de ce tableau de rêve. Il n’y a peut-être rien à trouver, peu importe restons superficiels, légers et en vacances. Navigation le matin, escale et bain l’après-midi, apéro le soir.

Avec bonheur nous cabotons de cartes postales en tableaux pastel. Notre plaisir est sur l’eau, au ras de la côte à jouer avec le vent et les courants. Seulement quelques heures de navigation entre deux mouillages et nous ne sommes jamais pressés d’arriver, alors nous trainons, voilure réduite, et nous admirons la beauté des îles. Sans cesse nous nous émerveillons des paysages. Tous les jours nous trouvons le plus beau mouillage, la plus merveilleuse plage, l’eau la plus lumineuse, le village le plus accueillant, … Mais arrêtons les comparatifs et les superlatifs, inutile de hiérarchiser, apprécions  chaque instant, chaque lumière,  ils sont si nombreux à être exceptionnels.

Tobago est la chanceuse de ces îles. A l’écart de la route des bateaux de location et des charters, elle profite du dynamisme économique de sa grande sœur Trinidad pour pouvoir vivre aisément. On y a compté moins de 20 bateaux pour l’ensemble de l’ile, quelle tranquillité. Charlotteville, au nord, est la baie idéale. Sa courbe soulignée par une belle végétation fleurie est parfaite, le village de pêcheurs anime la plage, La Grande Lulu s’y dandine de plaisir. C’est l’endroit idéal et que nous conseillerions pour une arrivée de transat. Le rêve antillais n’y est pas brisé, bien au contraire.

Les 80 Nm entre Tobago et Grenade sont avalés dans la journée, 10 heures de navigation toniques nous permettent de partir et d’arriver de jour. A Grenade nous trouvons la masse des bateaux de plaisance. Le grand port de St George et quelques baies aux alentours concentrent les mouillages. Ce sera toujours ainsi jusqu’en Martinique, quelques endroits bondés et la plupart des autres mouillages beaucoup plus calmes.

A regarder les autres on imagine le rêve de chacun. Avoir un très beau, très grand voiler, ou plutôt un bateau de pirate, ou alors un minuscule bateau, ou bien celui fait de ses mains. Etre en voyage, ou en vacances, insouciant les pieds dans l’eau et le verre de punch à la main.

Grenade, Les Grenadines formées par Union Island, Mayreau, Canouan, Tobago Cays, Moustique, Béquia nous offrent un terrain de jeu fantastique. Si aujourd’hui ces îles sont calmes et stables et que nous pouvons nous y promener sans arrière-pensée, cela n’a pas toujours été le cas. Grenade fête ses 50 ans d’indépendance, ce n’est pas si loin. Pendant longtemps Anglais et Français s’y sont affrontés pour se les approprier et on retrouve dans les noms des lieux les traces de ces deux envahisseurs.

Les Anglais ont laissé des noms assez prévisibles comme Britania Bay, Endeavour Bay, Georgetown, Port Elizabeth et ont été suffisamment fourbes pour dénommer un ridicule caillou «  Bonaparte ». Les Français ont été plus imaginatifs, voire gaulois et nous sommes passés par Petit Bordel Bay, pointe du Petit trou et pointe de Chique la moule,  l’île Morpion voisine de la Punaise, les îlots Petit Bateau et Petit Tabac, Vide bouteille, Brute, Diable, Lascar et autre Zozio …

Nous continuons vers le nord, vers St Vincent et Ste Lucie. Plus grandes, ces iles semblent plus contrastées avec des villes riches et des villages plus démunis. Au nord de St Vincent nous nous arrêtons à Chateaubelair bay. Malheureusement pour le petit village, un fond de houle et une plage un peu trop pentue rendent l’accès en annexe délicat. Alors sur les bateaux de passage les équipages restent à bord et le village ne profite pas de cet apport économique. Quelques téméraires viennent sur les embarcations de fortune nous proposer des fruits et leur service pour visiter les alentours. Nous rencontrons Boy-Boy. Son nom semble être un gag mais quand plus tard nous demanderons le chemin de sa maison on nous l’indiquera sans hésitation, c’est donc bien comme cela qu’il s’appelle. Boy-Boy parle un peu français, il a appris avec des cassettes que lui a données une femme sur un bateau qui passe ici de temps en temps. « Une bretonne comme vous » nous dit-il. Il est malin Boy-boy il a repéré notre ‘gwen-a-du’ et tente le message « les bretons sont généreux ». le lendemain matin, profitant d’une houle un peu plus faible,  nous arrivons enfin à débarquer et retrouvons Boy-Boy juste là quand il le faut près à nous aider. Curieux hasard pensons-nous que l’endroit où nous avons réussi à débarquer soit là où il vit. Naïfs que nous sommes ! Il n’y a pas de hasard, il n’est là que pour nous. Nous nous laissons faire et acceptons sa proposition de nous guider jusqu’aux chutes qui font la renommée de l’arrière-pays. L’endroit est effectivement sympathique. Nous remercions notre guide pour pouvoir profiter à notre rythme des lieux et convenons de le retrouver à sa maison. Même si nous  ne nous attendions pas à une superbe villa nous sommes sous le coup en y arrivant. Sur un tout petit terrain en forte pente, Boy-Boy vit dans une masure de bois et de tôles. Sa pauvreté nous touche.

Il nous reçoit avec le sourire, nous montre fièrement ses quelques arbres fruitiers, bananiers, orangers et ananas. Boy-Boy n’est pas dans la plainte, il a des projets, nous montre la minuscule pirogue qu’il s’est fabriquée « beaucoup de travail, explique-t-il » et le petit bateau pneumatique qu’il a récupéré et qu’il répare depuis longtemps. «Il me manque de la colle pour finir les réparations » et il espère que quelqu’un voudra bien lui en ramener de Martinique. Boy-Boy ne demande rien expressément, il explique juste de quoi il a besoin et qu’il ne peut se procurer. Quand vient le moment de se quitter Boy-Boy a l’amitié collante, il nous retient et veut nous faire un cadeau. Il nous offre trois bananes de son jardin et une petite poignée de noix de muscade, puis nous demande quand nous reviendrons.

Notre vie de voyageur est faite de rencontres et de départs.

Rapide halte de deux jours à Ste Lucie puis nous reprenons la mer pour La Martinique. Nous nous régalons de la navigation dans les canaux entre les iles. Réputés difficiles ces quelques heures de navigation sont en réalités simples. Le vent et les courants ne sont plus capricieux comme sous le vent des îles et nous pouvons faire marcher La Grande Lulu à son maximum. Évidemment il y a un bon 20 nœuds de vent et la mer qui va avec. Pour ceux à qui on a vendu « une croisière de rêve sur un catamaran » et qui commencent par ces passages agités, on peut comprendre que ce soit inconfortable mais pour qui est amariné (et navigue sur un vrai bateau)  c’est un bonheur.

Nous voyons La Martinique avec un œil neuf. Nous n’y étions jamais allés ensemble et nos précédentes visites respectives nous avaient laissé sur notre faim. Pas assez exotique, trop proche de nos habitudes hexagonales, trop loin de nos fantasmes sur les Caraïbes. Nous apprécions aujourd’hui cette île pour les même raisons qui nous faisait ne pas trop l’aimer hier. Qu’il est bon de retrouver nos repères. La langue française, le pain, l’odeur d’un « vrai » café.

Nous y sommes quelques jours pour prendre soin de La Grande Lulu, qu’elle nous emmène tous encore longtemps !

 Petite traversée, changement d’ambiance.

600 Nm (1 100 km) entre les Iles du Salut et Scaborougth, port principal de Tobago. Nous voilà repartis pour quelques jours de navigation.

Les conditions de navigation sont étonnantes pour qui a l’habitude de naviguer en Bretagne. Un seul bord, vent constant, route en ligne droite. Cela semble bien facile, d’autant que le courant des Caraïbes nous pousse vivement. Nous ne mettrons que 3 jours (73 heures exactement) pour faire ces 600 Nm, c’est pour l’instant notre record de vitesse. Restons modestes, quand nous sommes descendus aux Iles du Salut nous étions sur une route inverse et avec le courant et le vent dans le nez il n’y avait pas eu de quoi pavoiser sur notre vitesse moyenne.

Peu importe, nous en avons bien profité. Grand-voile haute, génois maxi, La vie est belle dans les Alizés. Nos prenons un ris de confort pour la nuit car nous savons maintenant que le vent forcit le soir jusqu’à 20/22 Kn. Inutile de tracer la courbe de pression atmosphérique, ce n’est pas l’indicateur de météo pertinent à cette latitude. Globalement les Alizées sont constants avec une légère variation de direction dans la journée et un renforcement la nuit. Les grains sont à surveiller, ils n’ont jamais été inquiétants. Nous avons même pêché un petit thon qui faisait juste la bonne taille pour nos 3 jours. Quand tout va bien…

Tobago, notre porte d’entrée aux Petites Antilles. Changement d’ambiance. L’air est plus sec, les nuits plus fraiches, 25° quand même. Notre impression est de passer du terrain d’aventure au village vacances. Heureusement pour nous Tobago n’est pas sur la route classique des bateaux de plaisance qui eux viennent principalement du nord (Martinique et Guadeloupe) et qui redoutant la navigation au près ne vont pas plus sud que Grenade.